Aveugles

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Bientôt, on n’en parlera plus.

L’émotion redescendra, et on en parlera plus. L’histoire de la petite Fiona retourne l’opinion publique, exacerbe toutes les haines, et touche l’ensemble du pays du fait de son intense médiatisation.

Hier soir, je regardais les informations, comme souvent cette dernière semaine. Bien sûr on y parlait de Fiona, des avancées de l’enquête, des aveux. Et j’attendais, devant mon écran. Que quelqu’un le dise, que quelqu’un le rappelle, que quelqu’un ose : si cette affaire émeut la France entière, ce n’est pourtant pas le fond qui est en cause, mais la forme. La forme, car les tentatives de dissimulation du couple ont amené l’histoire sur nos écrans, en place publique. Mais sur le fond, qui rappelle que cette histoire est d’une effarante banalité? Personne.

Et pourtant.

Nous en parlions ici, chaque année en France, près de 650 enfants meurent de maltraitance. 650.

650.

650.

650 petites Fiona. 650 petits Antoine, ce garçonnet de 8 ans disparu depuis bientôt 10 ans, dans ma ville, là sous mes fenêtres, et qu’on pense aujourd’hui enterré sous le centre nautique, sans possibilités de le vérifier.

Tout le monde s’indigne et c’est normal. Mais tout le monde fait comme si c’était quelque chose d’exceptionnel, d’une rare cruauté.

650.

Devant mon poste de télé, j’attends le rappel, qui ne viendra jamais: chaque jour en France, 2 enfants meurent sous les coups de leurs parents. Pourquoi ce trou noir dans l’information? Pourquoi personne pour dire que non, cette affaire n’est absolument pas exceptionnelle, mais juste quotidienne?

La petite Fiona est morte dans de grandes souffrances. Tous comme les 649 autres petits qui mourront avec elle cette année. Et qui ne feront pas la une des journaux. Que la société, aveugle comme elle se plaît à l’être, laissera mourir par manque de courage, parce qu’elle ne veut pas voir, parce que ça n’a rien à voir enfin madame! Entre donner une fessée et battre à mort il y a une différence!

Bien sûr qu’il y a une différence.

Mais il y a aussi un gros point commun: la violence faite aux enfants. Aujourd’hui en France, avant d’être un acte qui dégénère pour entraîner la mort, taper son enfant est un droit, qui n’est réprimé que quand vraiment le parent va trop loin. N’y a-t-il pas comme une fausse note?

Combien de Fiona encore, pour que l’opinion publique ouvre les yeux? 650? 1300? 1950? 1 000 000?

Je me réveille en ce lundi avec un goût amer au fond de la gorge. Celui d’une mère qui mesure l’ampleur de la tâche pour qu’un jour peut-être son pays se réveille, arrête d’appeler à la guillotine des bourreaux quand il légitime lui-même qu’on lève la main sur un enfant. Je regarde au parc ces gens qui parlent de peine de mort pour ces bourreaux d’enfants tout en parlant aux leurs avec un mépris non dissimulé à la moindre bêtise, tout en donnant une fessée parce que vous ne savez pas combien mon enfant est difficile.

STOP.

La violence engendre la violence. Que l’on tape sur la joue, sur la main, sur les fesses, sur la couche ou au dessus du pantalon, on tape et on apprend à taper. Et plus tard, un jour, qui sait si ce même enfant auquel on a appris qu’un enfant pouvait être tapé quand l’adulte le décidait ne sera pas celui qui dérapera? Celui qui avait toujours dit « entre une fessée et tuer son enfant il y a une marge », jusqu’au jour où cette marge s’efface parce que la fatigue, le stress, l’impatience, l’escalade de la violence, font qu’un jour la main s’emporte et qu’on n’en reprend le contrôle que lorsqu’il est trop tard.

650.

L’histoire de cette petite Fiona est horrible. Mais ne vous méprenez pas. Elle est tristement banale, affreusement habituelle. Elle se produit chaque jour, sous nos yeux aveugles. Alors encore une fois, malgré l’abattement qui me guette devant l’ampleur de la tâche, je reprends les armes, avec tous ceux qui comme moi militent au quotidien contre toute forme de violence éducative. Je puise en ma petite princesse cette force d’avancer sur ce chemin compliqué qu’est l’éducation non-violente. Compliqué non pas parce qu’un enfant a besoin d’être tapé et qu’il faut donc s’en retenir, mais compliqué car cette violence est le modèle commun et que s’en détacher est extrêmement complexe et demande un travail quotidien. Je regarde vers la Suède, en me disant que là bas, ils ont réussi. Que la loi contre les châtiments corporels en famille a eu les effets escomptés. Que là-bas les enfants ne meurent plus sous les coups, que les parents sont accompagnés sur l’apprentissage de l’éducation non-violente, et que leur modèle social a radicalement changé.

Chez nous aussi, bientôt, la loi. Il faut y croire!

« Ce n’est qu’un début, continuons le combat ». Pour toutes les petites Fiona.

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