« Je veux tout seul »

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Phrase entendue 450 fois par jour en moyenne.

« Je veux tout seul », parfois déclinée en « Nan je veux tout seul » ou bien également en « NAN TOUT SEUUUUUUUUUUUUUUUUUL!!!!!!!! » ponctuée de grandes gesticulations et de cris stridents si jamais on ne respecte pas les demandes précédentes.

Parfois c’est embêtant, parce qu’on n’a pas le temps, parce qu’on voudrait que ça avance, parce qu’on a peur que le verre casse, parce qu’on n’a pas envie d’avoir à ramasser le contenu de l’assiette une fois l’expérience faite.

Mais pour eux, ce « je veux tout seul », c’est primordial. Mettons-nous en situation deux minutes, à leur place. A chaque fois que je veux me servir de l’eau, manger quelque chose, mettre un habit, bouger, prendre un objet, poser un autre objet, déplacer un jouet un peu lourd, bref, à chaque fois que j’initie un mouvement en vue de réaliser une action, quelqu’un le fait à ma place. Je ne serais sans doute pas la seule à perdre mes moyens très très rapidement pour avoir envie de hurler « mais laisse-moi faire!!!! ».

Nos enfants sont comme nous. Ils n’aiment pas qu’on fasse à leur place. La grande différence entre eux et nous réside dans le fait que nous avons acquis une dextérité, une rapidité et une assurance dans nos gestes qui font que sauf maladresse hasardeuse, on ne risque pas de flanquer le verre par terre en se servant à boire, et qu’on sait s’habiller en deux-deux. Pour eux, chaque jour qui passe augmente leur expérience et leurs capacités physiques, intellectuelles et motrices, mais pour que cette construction s’opère, ils ont besoin de faire seul et c’est normal, comment savoir se servir un verre d’eau si l’adulte est toujours en train de maintenir le verre, d’essayer de guider le geste, ou bien s’il fait carrément à la place de l’enfant « parce que c’est difficile »? En dehors de cette notion de compétences concrètes, les enfants manquent cruellement, voire complètement selon leur âge, d’une notion que nous adultes ne connaissons que trop bien: le temps.

Vite, doucement, être pressé, ralentir, attendre…autant de concepts très difficiles à appréhender pour nos petits car ils ne parviennent pas à se projeter comme nous adultes. De plus, tous ces termes impliquent d’avoir une maîtrise de l’ensemble de l’ambitus possible: pour faire « doucement », encore faut-il avoir une conscience concrète nos possibilités extrêmes, pour ensuite ajuster l’intensité du geste ou du mouvement. Lorsqu’on dit à un petit enfant « fait doucement », il est très probable qu’il ne comprendra pas cette consigne, car pour être comprise il faudrait déjà que le petit ait conscience du minimum et du maximum dont il est capable, pour ensuite tempérer son mouvement. Ceci est valable dans l’expression sonore, le déplacement, la gestion du temps…bref dans toutes les choses de la vie qui impliquent et comportent des nuances. Nous les maîtrisons car les années nous ont permis de toutes les expérimenter. Nos enfants eux, n’en sont qu’aux prémices de ces apprentissages et il est important, pour le respect de leur développement et aussi je crois pour garder une harmonie à la maison, d’avoir conscience de cette différence fondamentale entre eux et nous. Nous sommes loin devant sur la route du savoir (savoir faire, savoir être, savoir vivre…) quand eux mettent à peine le premier pied sur le chemin.

A cette notion de temps, nous adultes avons ajouté l’impatience, et il peut être parfois difficile d’accepter d’attendre, pour laisser l’enfant agir par lui-même avec son temps à lui. Celui de l’enfance, de la maladresse inhérente au manque de pratique et d’expérience, du repas qui dure, de la chaussure qu’on enfile en recommençant trois fois, du verre qu’on remplit en mettant à côté la moitié de la carafe. Et tout ça mène souvent à des crises, des cris, du stress, car l’adulte prend souvent le relais avant que l’enfant n’ait pu aller au bout de son expérience. Le petit ressent une profonde frustration d’avoir été ainsi coupé dans son action, comme nous le serions si on nous coupait nous-même dans une action en cours. Mais il existe encore une différence notoire entre eux et nous: les outils d’expression. A 15, 20 ou 30 ans, on dit qu’on n’a pas fini. A 2 ans, on crie. Alors comment faire? Avec toute la bonne volonté du monde, la vie moderne fait qu’on n’a parfois pas d’autres choix que d’être pressés. Il y aussi tous les principes éducatifs occidentaux, notamment autour de l’alimentation, qui réduisent l’enfant à l’impuissance et brident son autonomie souvent même sans que les parents s’en rendent compte s’ils ne prennent pas vraiment le temps d’analyser chacune des situations quotidiennes, tant ces considérations qui veulent que l’enfant est « encore trop petit pour faire ça tout seul » sont ancrées et acquises par tous.

Ici nous avons toujours accordé une importance extrême à favoriser au maximum l’autonomisation de notre fille, et ce dès ses premiers déplacements. Par convictions intimes déjà, en partant du principe qu’elle avait droit à cette autonomie au fur et à mesure du développement de ses capacités, mais aussi à sa demande tout simplement. Lou a marché à 9 mois et demi. Avec l’acquisition plutôt précoce de la marche, elle a de fait évolué très vite vers des activités autonomes, puisqu’elle gérait seule ses déplacements. Vers 12 mois sont apparus des premiers mots simples, et l’un des premiers fut « toseul », avec Papa, Maman, tétée, dodo, pain, miam-miam. Nous avions souvent utilisé la question « tu veux toute seule? » lorsqu’elle se mettait à râler dans une situation où nous faisions pour elle, c’est sans doute pour cela qu’elle l’a rapidement intégré dès l’acquisition du langage.

La variable de temps a été intégrée à cette réflexion sur son autonomisation: comment organiser la journée pour que nos contraintes de planning ne signifient pas systématiquement pour elle de devoir abandonner son action, ou que celle-ci soit sans cesse effectuée par l’adulte? Voici quelques pistes utilisées ici sur trois moments clé de la journée: le repas, le bain et les sorties.

Le repas:

Sans vouloir « juger » comme c’est le mot star en ce moment, j’ai souvent l’occasion d’observer les enfants de copains, au parc ou ailleurs, en situation de repas. J’entends souvent les parents me dire « les repas c’est toujours la crise, du coup il ne veut plus manger, il crie tout le temps… » Ce que je constate le plus souvent, c’est que si les parents acceptaient de laisser l’enfant se débrouiller (même à 6 ou 9 mois, on ne parle pas ici forcément que des bambins), mais aussi dire ce qu’il veut manger ou pas, ça se passerait sans doute beaucoup mieux. J’en avais déjà parlé ici, Lou a toujours mangé seule, d’abord avec ses mains puis au fur et à mesure elle a réclamé des couverts, cuillère puis fourchette puis couteau, elle a toujours refusé les verres en plastique. Aujourd’hui elle mange à la fois avec ses mains et avec ses couverts, tout dépend de ce qu’elle a dans son assiette et de ce qui est le plus pratique pour elle en fonction de l’aliment. Elle a également toujours été libre de choisir, parmi les plats proposés sur la table, ce qu’elle voulait manger. Souvent on me dit « mais tu ne l’obliges pas à goûter? » Evidemment que non. Pour ma part, cela m’arrive très souvent, une fois le repas servi, de ne finalement pas avoir envie de manger les féculents mais de prendre trois fois de la salade. Je ne vois pas pourquoi j’aurais ce droit et ma fille non sous le seul prétexte que c’est une enfant et que du coup ce n’est pas elle qui décide.

En pratique ça donne:

1 : Laisser l’enfant choisir lui même ce qu’il veut manger AVANT de lui mettre dans son assiette. Ici et selon le type de plat (pour certains c’est parfois dangereux) on la laisse même se servir seule, du moins prendre elle-même quelques cuillères dans la casserole et les mettre dans son assiette, pendant que Papa ou Maman complète l’assiette à côté.

2: Laisser l’enfant manger à sa manière, car si le savoir-vivre impose qu’on mange avec des couverts, pour un enfant dont la motricité est encore en acquisition ce peut être extrêmement difficile même si on considère qu’il est « assez grand pour manger avec une fourchette ». Si l’enfant mange avec ses mains, c’est d’une part parce que c’est plus pratique pour lui, et d’autre part parce que le toucher fait partie intégrante de la découverte alimentaire, des textures, et plus généralement de l’acquisition du goût (tout comme la vue, d’où mon refus des petits-pots où tout est mélangé, mais c’est une autre question). Les premiers temps il en mettra partout, et puis de jour en jour le geste se fera plus précis et il y aura de moins en moins de choses à côté de l’assiette ou en dessous de la table. Ici après presque 10 mois de repas 100% autonomes, mademoiselle pousse avec du pain et remet dans son assiette les éventuels morceaux qui débordent.

3: Adapter au maximum l’équipement de la table pour que l’enfant se gère de A à Z y compris sur la boisson. Ici j’ai acheté une mini-cruche en pyrex pour que Lou se serve de l’eau elle-même, sans avoir à demander aux adultes de le faire pour elle (qui plus est avec un récipient du coup beaucoup trop gros et lourd). J’aurais pu la prendre en plastique, mais elle aurait été opaque. A prix égal (environ 3€ dans le magasin de vaisselle de ma ville), je considère plus instructif et pratique pour l’enfant de ne pas avoir à se servir en aveugle et de savoir exactement ce qu’il reste dans la cruche. Voir les quantités permet à l’enfant de savoir si il peut/doit pencher encore l’objet, ralentir le geste parce que ça coule trop vite, soutenir de l’autre main car c’est rempli et donc plus lourd…En plastique certes ça ne casse pas, mais on ne voit rien de tout ça. Il est déjà suffisamment compliqué d’acquérir la compétence de verser précisément, et supprimer les divers éléments visuels permettant d’ajuster le mouvement rend l’apprentissage encore plus compliqué pour l’enfant. Avant la mini-cruche, nous avions une petit bouteille d’eau minérale. Lou se sert seule ses verres d’eau à table depuis qu’elle a 15 mois (dans des verres en verre, elle n’en a jamais cassé un seul à table), et est autorisée depuis toujours à boire à la bouteille (nous adaptons le format et la contenance à ses capacités physiques du moment, désormais elle sait boire à la bouteille avec une bouteille de taille normale remplie à presque moitié)

4: Utiliser des couverts adultes mais petits formats plutôt que des couverts bébé plastique. Les fourchettes bébé ne piquent rien du tout, et il est très compliqué de trouver des couteaux « format bébé ». Ici une petite fourchette à dessert et un couteau à beurre ont remplacé les couverts plastique.

Le bain

J’ai lu récemment sur un forum un femme choquée de lire une maman dire que sa fille de 2 ans et demi se lavait seule, car je cite « un enfant de cet âge est trop petit pour se laver tout seul! ». J’ai ri. Parce qu’ici, Lou se lave seule depuis…je ne sais même plus depuis quand tellement ça fait longtemps. Elle a 20 mois, elle a du commencer à 13 ou 14 mois? Le bain, c’est son petit moment avec papa, il lui a appris plein de choses dedans depuis des mois, notamment nommer les parties du corps et se laver parce qu’elle a très vite dit, comme pour le reste « nan toseul ». On la laisse faire son petit truc, et puis on repasse derrière si besoin. Elle sort elle même du bain, avant avec un petit marchepied, maintenant elle est suffisamment grande pour enjamber le rebord. On ne l’essuie plus sur la table à langer mais debout au sortir de la baignoire, elle se frotte « tout seul » le corps pendant qu’on frotte les cheveux (à grand renfort d’exagération sur la drôlerie parce qu’elle déteste ça…)

Les couches classiques ont été remplacées par des couches-slip, elle les enfile seule depuis un petit moment, on réajuste seulement sur la fin si c’est un peu de travers. Elle se brosse les cheveux elle-même (ils sont raides, qu’elle ne soit pas dêmelée pour de vrai n’a aucune importance, elle n’a de toute façon jamais de noeuds, donc je ne la coiffe jamais, c’est toujours elle qui fait seule). Elle met elle-même sa crême hydratante sur le visage une fois qu’on a mis le pyjama. On pourrait penser que tout ça rallonge le temps de bain de 45 minutes, mais même pas. Elle sait mettre sa couche facilement, et le reste n’est vraiment pas long. C’est en tout moins long que d’avoir à gérer un enfant qui gesticule et râle parce qu’il veut faire lui même et qu’on ne lui en laisse pas la possibilité.

Les sorties.

On sort entre une et trois fois par jour, pour aller au parc, chercher le pain, se promener en trotinette dans les ruelles en fin de journée…La trotinette a été choisie (dans un vide grenier, super affaire!) avec deux roues à l’arrière, comme ça elle fait elle même sans qu’on ait besoin de la pousser ou de la guider. Elle a appris très tôt à mettre son bonnet, comme ses gants. C’est encore moi qui lui met son écharpe parce que selon elle c’est « cifile » (difficile), du coup elle demande de l’aide. Les chaussures n’ont jamais eu de lacets mais uniquement des scratchs, ainsi elle a commencé à tenter (puis réussir) à les mettre seule très tôt. Elle sait enfiler désormais, et fermer, ses chaussures pour le parc par exemple. Elle dit d’ailleurs « ah voilà tout seul » à chaque fois qu’elle y parvient, s’il fallait une certitude de son immense satisfaction d’y parvenir…Elle ne sait pas encore mettre entièrement son manteau alors on partage les tâches: je tiens le manteau bien ouvert et c’est elle qui vient glisser ses bras dans les manches, ce n’est pas moi qui lui enfile le manteau.

C’est sur les sorties que la question du temps se pose le plus. On a solutionné assez facilement le concept de « dépêche-toi » que je ne voulais pas lui faire appliquer: quand on doit sortir, on le sait, sauf rare exception où il se passe une minute entre la décision et la sortie. Donc au lieu d’attendre les trois dernières minutes pour mettre les vêtements, ce qui cause pour le parent de l’impatience vu qu’il faut y aller, on lui demande de se préparer bien longtemps à l’avance, comme ça elle fait sa vie tranquille. Un gros quart d’heure avant de partir, je lui amène ses chaussures et lui dit qu’elle peut les mettre car on va bientôt aller dehors. Ca lui laisse le temps de le faire seule, car même si elle sait le faire ses gestes sont encore malhabiles et donc elle met encore bien 5 minutes pour mettre chaque chaussure. Le fait que je sois à la maison ne change pas cet état de fait. C’était déjà ainsi quand je travaillais encore 45h par semaine et qu’on devait respecter les horaires de nounou. Prendre en compte le temps de l’enfant et l’intégrer un maximum au planning, c’est à mon avis la clé pour réduire au minimum les crises d’opposition dûes au manque d’autonomie.

Et quand on ne peut vraiment pas laisser faire seul?

Ca arrive aussi, pour diverses raisons. Ici nous avons pris le parti de ne jamais couper court à l’action de l’enfant sans expliquer pourquoi, et sans s’excuser: « désolée Lou, je vais devoir faire avec toi parce que… ». Egalement, quand il s’agit d’être pressés, plutôt que de dire « dépêche-toi », on dit des choses du genre « j’ai besoin qu’on puisse avancer, je vais t’aider à faire ça pour qu’on se dépêche ensemble ». L’accélération du temps peut ainsi devenir non plus une contrainte arbitraire pour l’enfant mais un jeu rigolo. On garde toujours en tête que pour elle « se dépêcher » n’a pas de sens concret, hormis le fait qu’elle n’arrive plus à faire toute seule. Donc si on doit se dépêcher, on lui indique ce qu’elle peut faire pendant que nous on fait le reste:elle met me bonnet pendant qu’on met les chaussures etc. Agir ainsi solutionne une très grande partie des conflits issus de ces situations pressées. Alors bien sûr, il y a le travail, la journée fatigante, toutes ces choses que je n’ai que trop bien connues il n’y a encore pas si longtemps. Mais ce n’est pas vrai de dire qu’on n’a jamais le temps de laisser son enfant mettre ses chaussures, ou enfiler seul son pull. C’est vrai par contre de dire qu’on ne pense pas forcément à réorganiser la façon dont on gère le temps sur la journée pour permettre à l’enfant d’être un maximum autonome. Il y aura toujours et forcément des situations où ce ne sera pas possible. Mais elles seront beaucoup moins compliquées à gérer et moins frustrantes pour l’enfant si à côté, un maximum est mis en place pour lui laisser l’autonomie dont il a besoin.

J’oublie évidemment des tas de choses et le billet sans doute assez décousu, il y a tellement de situations où la revendication « je veux tout seul » intervient…Mais en conclusion je dirais qu’il est important pour l’enfant que l’adulte garde en tête, autant que possible, que beaucoup de crises les premières années viennent de la frustration de l’enfant de voir l’adulte toujours faire pour lui. Nous nous interdisons ici de dire des choses du genre « elle n’est pas assez grande pour faire ça » si Lou engage une action, ou inversement de dire « elle est encore trop petite ». Avant d’affirmer ça, il faut laisser à l’enfant l’occasion d’essayer, ça peut donner de sacrées surprises (dans une limite sécuritaire bien entendu, l’idée n’est pas de le laisser se mettre en danger, mais simplement de lui faire confiance et de le laisser essayer d’un bout à l’autre avant d’intervenir. C’est ainsi qu’on a jamais refusé qu’elle boive au verre à table dès le début. Et on a eu raison…jamais un verre cassé, mais on a opté pour lui acheter un modèle certes en verre comme les grands, mais miniature encore une fois)

Nous pouvons penser que l’enfant ne parviendra pas à faire telle ou telle chose parce que ça fait trois minutes maintenant que l’action est engagée et que ça devrait déjà être fini parce que c’est un mouvement basique, par exemple. La tentation d’intervenir est alors grande. Mais il faut parfois 10 minutes à un petit pour mettre une chaussure parce que tous les gestes doivent être faits dans l’ordre, coordonnés et synchronisés. Un jeu d’enfant (!) pour nous, mais pour eux…c’est une autre histoire!

Faisons de notre mieux pour leur laisser le temps d’apprendre même dans ce monde trop pressé.

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