Mais c’est quoi, l’instinct maternel

WM s'interroge

Image prise ici (www.ecofeminin.com/maman/la-semaine-mondiale-de-lallaitement-maternel.html)

Préambule

Cet article au titre un brin polémique est né de la lecture d’un autre article, écrit par une blogueuse dont j’apprécie beaucoup les écrits. Inscrite dans le mouvement féministe, Kalista interroge et argumente régulièrement nos modèles sociaux, leurs origines, leurs conséquences. J’aime la lire car ses billets sont toujours le fruit d’une documentation sérieuse mêlée d’une opinion personnelle qui, bien que très souvent tranchée, laisse place au débat et à la réflexion en privilégiant l’ouverture de ton sans jugements à l’emporte-pièce. Et moi ça me plaît. Et non, elle ne m’a pas payé pour écrire ça, ce billet n’est pas sponsorisé :P

Bref. Tout cela pour dire que son article “L’amour en plus” (journalennoiretblanc.blogspot.com/2011/07/lamour-en-plus.html), évoquant entre autre le livre d’Elizabeth Badinter et la question de l’instinct maternel inexistant, a soulevé dans ma petite tête une question: qu’entend-t-on exactement par l’expression “instinct maternel”? Parce que pour dire qu’il existe ou qu’il n’existe pas, encore faut-il qu’il soit clairement défini afin de pouvoir s’y confronter.

Il est important de préciser que mon billet ne vise pas à apporter une réponse précise à la question, mais plutôt à développer la dite question, à l’approfondir pour peut-être donner des pistes sur une manière (parmis d’autres) d’aborder cette problématique. Mon but n’est donc pas de dire si oui ou non l’instinct maternel existe, mais plutôt de préciser ce qui est, à mon sens, induit par ce terme et de quelle manière je l’interprète. Je précise également (et c’est sans doute une donnée importante dans la manière dont j’aborde ce sujet), que malgré ma grande expérience des enfants tant dans ma vie familiale, personnelle ou professionnelle, je suis ce que je nomme avec amusement une “nullipare”: je n’ai pas d’enfants. Cela dit, avec mon Working Man, le sujet est en travaux (pratiques). Je terminerai ce préambule en disant que ne pas être mère ne m’empêche pas de m’interroger sur les sujets de la maternité, de la parentalité, de l’éducation…et de partager ici le fruit de ces interrogations (ça, c’est une précision pour celles qui m’ont quelques fois remballée sur les forums et blogs dits “de mamans” sous prétexte que je n’avais pas de gosses et que donc j’étais bien mal placée pour donner un avis. Le message est bien passé? Merci.)

Etat des lieux

L’instinct maternel on en parle tout le temps, et partout. Il est brandi à chaque fois que l’on évoque le sujet de la maternité, à chaque fois qu’une femme accouche, à chaque fois qu’une mère montre le plus petit gramme d’affection pour sa progéniture, et plus généralement à chaque fois qu’on cause de ces nains qui nous rendent dingues. Il est une sorte de norme, quelque chose qu’une femme se doit de ressentir pour être reconnue comme une bonne mère. “Regarde, on voit bien qu’elle a l’instinct maternel”. Dans le cas contraire, les réactions sociales sont très violentes et placent la jeune maman qui ne ressent pas le sacro-saint “instinct” sous les feux d’une suspicion immédiate et très souvent destructrice. Pourtant, c’est un fait: certaines femmes ne ressentent pas immédiatement, lors de la grossesse ou au moment de la naissance, l’élan indescriptible reconnu comme étant la norme. Elles ne comprennent pas pourquoi, et peuvent s’interroger encore bien longtemps après la naissance sur leur capacité à être une bonne mère. Elles n’ont pas vécu la magie, ne la vivent toujours pas…et se demandent ce qui ne tourne pas rond chez elles. Pour autant, dire que l’on a ou pas telle ou telle chose implique de se positionner par rapport à un référent. Ce référent, en l’occurrence, c’est le principe représenté par l’expression “instinct maternel”, et la définition que la société lui apporte. Et bizarrement, tout est assez flou.

La minute Petit Robert

Globalement, parler d’instinct maternel revient à évoquer l’apparition de capacités jusque là insoupçonnées chez la femme, et ce de manière assez prononcée: compréhension intuitive du nouveau-né, connaissance innée de certains comportements à adopter pour satisfaire les besoins de l’enfant….les diverses définitions que l’on lit de l’instinct maternel tendent à démontrer l’apparition, chez la jeune mère, de capacités dépassement l’entendement, allant au delà du rationnel. Toutefois, il est intéressant de constater que bien souvent ces différentes définitions font apparaître, à un moment ou à un autre, le terme d’ “amour maternel”, qui se substitue ensuite au terme d’instinct. Comme si les deux concepts ne faisaient qu’un. Or, ils sont totalement opposés de par leur nature: l’instinct est un phénomène relevant de l’inné, quand l’amour relève de l’acquis. Ils ne devraient donc pas pouvoir être assimilés l’un à l’autre.

Dans le dictionnaire, l’instinct est défini comme suit:

n.m. instinct (du lat. instinctus, impulsion)

1. Tendance innée qui pousse les individus d’une même espèce à accomplir des actes déterminés.

2. Tendance, impulsion souvent irraisonnée qui détermine l’homme dans ses actes, son comportement: Son instinct lui disait de s’en méfier (intuition, prémonition, pressentiment).

3. Don, disposition naturelle pour qqch

Et l’amour là-dedans?

L’amour est, quand à lui, bien plus difficile à définir de façon universelle car sa signification et son champ d’application relèvent pour grande partie de la culture. On peut donc, je crois, dire qu’il y a une définition occidentale de l’amour. Ce qu’on définit chez nous comme étant “l’amour maternel” n’est pas réservée qu’aux liens du sang: des mères adoptives peuvent être tout aussi aimantes que des mères biologiques. L’amour étant un concept relevant de l’acquis, on constatera également que des mères pourront ne pas réussir à aimer leur enfant.

On observera aussi, des femmes débordant d’amour pour leur enfant à la minute même de l’accouchement, voire dès l’annonce de la grossesse, alors que d’autres mettront plus de temps à tisser le lien affectif avec leur enfant. Mais comme on parle d’un sentiment qui se construit, d’une notion qui relève du pur acquis, cela n’a finalement rien d’étonnant. Tout le monde n’a pas la même capacité à aimer instantanément. L’amour est un sentiment qui s’apprend…pourquoi serait-il si difficile d’envisager que cet apprentissage puisse être nécessaire dans le cas spécifique de l’arrivée d’un enfant, et que le chemin puisse être long?

Je vous renvoie, pour approfondir cette question, à l’article de Kalista (journalennoiretblanc.blogspot.com/2011/07/lamour-en-plus.html) qui est très bien documenté sur cette question.

J’ai entendu, parfois, dire que l’Homme était dépourvu d’instinct, qu’il n’agissait que par connaissance. Que sa culture prenait donc le pas sur sa nature. Peut-être à l’âge adulte (et encore, il me semble que c’est très discutable)…mais certainement pas au moment de la naissance: le réflexe de succion, par exemple, exprimé par n’importe quel bébé est bien la preuve que l’instinct existe chez l’Homme. Pour manger, le bébé doit téter, et personne ne lui explique: il le sait de façon absolument innée. Si on reconnaît que l’instinct existe au stade du nourrisson, il me semble compliqué d’affirmer qu’il n’existe pas au stade adulte. Il peut être inhibé par des artifices culturels qui remplacent le besoin de s’en servir, mais il existe bel et bien.

“La femme est faite pour avoir des enfants”

Ca, c’est une vérité, quoiqu’on en dise. Elle peut faire le choix de ne pas en avoir mais biologiquement parlant, son corps est quand même programmé pour ça. Sinon, qu’on m’explique pourquoi j’ai un utérus, des règles, des seins…et pas mon mec. Même si on peut en douter dans le monde actuel où l’Homme fait tout ce qu’il peut pour se foutre en l’air avant l’heure, il n’en reste pas moins que notre espèce n’échappe pas à l’instinct de conservation: l’espèce doit perdurer. L’Homme étant doué d’une intelligence particulière, il est en mesure d’aller contre certains de ses instincts, par choix. Pour autant, la maternité est un instinct dans la mesure où elle est la seule garante naturelle de la conservation de l’espèce. Seule l’étude et la compréhension scientifique du corps humain a permis de bloquer cet instinct de conservation, grâce à la contraception. Sans cette méthode, chacun obéirait inéluctablement à cet instinct reproducteur, car les corps masculins et féminins sont biologiquement conçus pour répondre à ce besoin.

Dans ma tête

L’instinct maternel n’existe pas. Du moins pas dans le sens qu’on lui accorde aujourd’hui et qui stigmatise nombre de femmes ne ressentant pas le concept qu’on leur vend. Les différentes recherches et productions littéraires sur le sujet le démontrent assez bien, en appuyant notamment le rôle majeur de la culture dans l’exercice de l’instinct maternel. En revanche, je crois à un autre type d’instinct, qui relève plus de l’instinct de conservation que du super-pouvoir maternel: l’instinct de protection. Prenons l’exemple des mammifères (auxquels nous appartenons pour rappel^^).

Les chats, les chiens, les souris, les baleines, les dauphins, les vaches, les chèvres….toutes mettent bas et adoptent des comportements très spécifiques visant à protéger le ou les petits. Nettoyage du nouveau-né après l’expulsion, destruction du placenta (et parfois consommation pour compenser la perte de sang et de fer dûe à l’accouchement), section du cordon, allaitement… Chez les chats, la mère effectuera régulièrement tout un tas de massages du ventre de ses chatons pour stimuler l’éjection des excréments, les chatons n’en étant pas capables seuls.

Toutes ces femelles n’ont pourtant pas notre intelligence, et n’ont pas été éduquées pour ça. On ne leur a pas montré ce qu’il fallait faire, on ne leur a pas dit ce qui était bien ou mal, ce qui était bon ou pas. Elles le savent, et l’appliquent, pour une seule raison: si elles ne le font pas, leur progéniture mourra. Chez les cochons d’Inde par exemple, dans le cas d’une portée trop nombreuse et si la lactation n’est pas suffisante, la mère tuera et mangera une partie de ses petits. Mais pas n’importe lesquels: ceux qu’elle aura identifié comme étant les plus faibles et donc comme étant, dès le départ, les moins aptes à survivre. Par cette action, elle répondra à son instinct de conservation: en gardant l’ensemble de sa portée, elle ne pourra pas nourrir chacun correctement. Tous les petits risquent alors de mourir. En tuant les plus faibles, elle assure aux plus vigoureux le maximum de chances de survie. Jusqu’à leur émancipation (qui, hormis chez les humains, correspond en général au moment du sevrage), la mère assurera la protection de son petit, pour lui éviter la mort. Lorsqu’elle aura accompli son travail, elle le délaissera ou même, parfois, le rejettera.

La femme, sauf dans de rares cas, n’échappe pas à cet instinct de protection. Lors de la mise au monde de son enfant, nul besoin de le lui dire, elle le sait déjà: son bébé ne peut pas se déplacer seul, ne peut pas se nourrir seul, ne peut pas se nettoyer seul. Il est vulnérable et a un besoin vital de sa mère pour survivre. Si elle ne le protège pas en satisfaisant ces besoins primaires, il mourra. Voilà comment je définis, pour ma part, l’instinct maternel: par l’instinct de protection qui s’empare d’une femme dès lors qu’elle devient mère, et qui lui dicte ce qu’elle doit faire pour répondre à un besoin vital. On notera d’ailleurs, que les mères biologiques n’ont pas l’exclusivité de cet instinct: une mère adoptive répondra tout autant aux besoins primaires de l’enfant alors même qu’elle ne l’a pas conçu. Un homme pourra y répondre également, tout comme un jeune enfant de 7 ou 8 ans. L’instinct de protection est transgénérationnel tout autant que transgenre.

En revanche, si cette connaissance des besoins vitaux de l’enfant est innée, sa mise en pratique résulte d’un apprentissage: la mère (puisqu’on parle d’elle mais on pourrait dire “l’adulte” par exemple) apprendra à différencier des pleurs de faim et des pleurs de douleurs. Elle apprendra à identifier, à comprendre, et à solutionner les signaux envoyés par son nourrisson. Elle apprendra à s’occuper de son enfant en analysant son comportement et les signaux envoyés, en constatant l’adéquation entre le besoin exprimé et la réponse apportée, qu’elle pourra alors répéter à chaque fois que la situation se présentera. L’ apprentissage est une notion fondamentale il me semble, car elle marque la frontière entre l’instinctif et le réfléchi, entre l’inné et l’acquis, entre la nature et la culture.

“Je n’ai pas l’instinct maternel”

Tout dépend donc et après mon immense blabla, de ce que l’on entend par là. Dès lors que l’on est apte à répondre aux besoins vitaux exprimés par un enfant, et que l’on est apte à y répondre pour assurer sa survie, alors il me semble que l’on a cet instinct maternel, du moins dans le sens où je l’entends: un instinct dictant quoi faire pour assurer la survie de l’enfant. Aujourd’hui, il me semble que l’instinct maternel est une expression un peu fourre-tout, au final assez floue mais qui fixe des normes arbitraires, dans lesquelles nombre de femmes ne se reconnaissent pas. Sont-elles pour autant de mauvaises mères? Certainement pas.

Il y a, à mon sens, l’instinct de protection partagé par tous et tous sexes confondus, et le lien affectif qui se tisse différemment entre chaque être, plus ou moins rapidement, qu’il y ait filiation biologique ou non. Du cumul de ces deux choses naît un amour particulier et unique. Mais en aucun cas je n’adhère à un concept prétendant lister en 10 points les différents critères qui établissent que oui, bravo, vous avez l’instinct maternel, vous êtes notre 1.000.000ème gagnant!

Non.

Il y a autant de façons d’être mères qu’il y a de femmes. Il y autant de façons d’aimer qu’il y a de familles. Avoir l’instinct maternel, pour moi, c’est simplement être en mesure de faire des choix, et de s’interroger sur ce qui, à un instant donné, sera le plus adapté aux besoins exprimés. Cela peut être aussi décider de se faire confiance et d’aller contre un avis général, parce que l’on est convaincue que c’est la seule réponse qui conviendra pour ce cas précis, envers et contre tous. Mais ce n’est pas être douée d’un sixième sens.

Non, je ne crois pas que ce soit le package rose bonbon que l’on ressasse en permanence. Ce package là tend à normaliser la maternité, à délimiter ce qu’elle devrait être pour être bonne, pour être vraie. Et au lieu d’être bénéfique, cela me semble affreusement réducteur.

Toute ma vie de petite fille, d’adolescente, puis de femme, on a dit de moi “c’est fou ce qu’elle a l’instinct maternel”. J’étais constamment en train de m’occuper de mes petits frères, depuis leur plus jeune âge. Je ne demandais que ça: changer leurs couches, donner les bains, donner les biberons… le baby-sitting de nourrissons de 3 semaines ne me faisait absolument pas peur même à l’âge de 12 ans, je voue une adoration sans bornes aux enfants. Et je déborde même tellement d’amour pour les gosses que je suis déjà raide-dingue du mien qui n’est même pas encore conçu, c’est pour vous dire. Mais je ne crois pas, pour tout ce que j’ai raconté au-dessus, que ce soit de l’instinct maternel. Plutôt un instinct de protection très fort et qui me suit effectivement depuis toujours, couplé à un amour très développé pour la “condition” enfantine. Après, qui sait…si ça se trouve quand je serai mère à mon tour je changerai d’avis sur la question. Je me découvrirai peut-être des super-pouvoirs. Ou pas :P

Le mot de la fin

Il manque sûrement beaucoup de choses dans cet article: j’ai tenté de synthétiser mes idées pour ne pas rendre la lecture trop longue, et il y a certainement des choses qui seraient à préciser, ou à compléter…et même à contredire! N’hésitez pas à réagir, dans la joie et la bonne humeur, bien entendu.

*C’était la minute la demie-heure philosphique WM. A vous Cognac-Jay, à vous les studios*

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