Au téléphone avec sa fille, la mère m’a donné raison. « Si ma puce, aujourd’hui c’est pique-nique ».
Très vexée, Coralie fera le choix de ne pas manger ce jour là. Tant pis minette, c’est comme ça.
C’est l’aspect des parents que je ne t’ai pas encore décrit. Globalement, ils étaient très sympa, je l’ai déjà dit. Mais ils étaient surtout cohérents. Ils me confiaient leur gamine pendant 30 jours et savaient très bien que pour que ça fonctionne, il fallait qu’on soit raccords. Que les petites sachent que si je disais non, il était inutile d’aller quémander un oui auprès de papa ou maman. Ce serait non aussi. La mère avait confiance en moi, et jamais elle ne m’empêchait de faire ce qui me semblait juste au moment M, si l’une des petites faisait une connerie par exemple. Dans le cas (c’est arrivé une ou deux fois) où mon choix ne lui convenait pas, elle attendait le soir, que les filles soient couchées et endormies, pour en discuter avec moi et ça c’était vraiment cool. On buvait un verre et elle me disait simplement « tu sais pour cet après-midi, ce qu’il s’est passé avec Coralie, blablablabla ». On en discutait entre adultes responsables, j’expliquais mon point de vue si besoin était. Transparence, liberté de mouvement. Heureusement. Sinon ça aurait été juste invivable.
Ce jour là donc, quand Coralie, 5 ans tout juste, a téléphoné à sa mère pour savoir si j’avais le droit de ne pas l’emmener au restaurant, la maman m’a soutenue sans aucune difficulté, d’autant que la décision avait été prise ensemble le matin. Plusieurs fois, Coralie retentera de m’avoir en jouant la carte « puisque c’est comme ça je vais demander à Maman ». A chaque fois, elle reviendra vaincue. Au bout de 5 ou 6 fois, elle ne le fera plus. Quand Julie dit non, c’est non. Quand Julie dit que c’est l’heure du bain, c’est l’heure du bain. Etcaetera. Demander confirmation à Maman ne changera rien.
De nombreuses fois par la suite, j’ai du remettre les pieds sur Terre aux fillettes. Enfin, surtout à la plus grande. La petite, elle, était vraiment chouette. Gentille, sage, rigolote. Encore « simple » comme une enfant de 3 ans. Tant qu’elle avait son doudou et qu’elle pouvait prendre son biberon sur mes genoux, c’était la belle vie pour elle. Rapidement j’ai analysé leur situation, leur vie quotidienne. Ce qui faisait que cette petite fille de 5 ans était comme ça. Maman et Papa travaillent comme des forcenés. Elle est directrice d’un gros cabinet d’avocats d’affaires, lui est investisseur dans l’immobilier. Ils travaillent tôt, et rentrent tard. Alors, les petites vivent avec des nounous, toute l’année. Le matin, lorsqu’elles se lèvent, papa est déjà parti depuis longtemps. Maman est sur le départ. C’est la nounou du matin qui assure le lever, le petit déjeuner, l’habillement. Maman est pressée. Bisou, bonne journée. La nounou les dépose à l’école, relayée dès 16h30 par la nounou du soir. Goûter, devoirs, repas, histoire. Maman et papa rentrent, les petites dorment déjà à moitié. Bisou, au revoir. Pour compenser l’absence, on offre des cadeaux, beaucoup de cadeaux. On accède à toutes les demandes, ou presque. On ne refuse rien. Le week-end, c’est dimanche au Club. Papa fait un golf, Maman est à la piscine. La nounou aussi. Lorsqu’ arrivent les vacances, point de répit: une nouvelle nounou assure le quotidien. Tout simplement parce que les parents ne l’ont jamais fait eux-même. Et je crois sincèrement qu’ils ne savent pas faire.
Ça me fait mal au coeur. Depuis 15 jours que nous sommes là, je n’ai pas vu les parents partager de vrais moments avec leurs filles. Quelques minutes dans la piscine. Deux ou trois baignades à la plage. Mais pour tout le reste…Julie est là. J’ai même des pensées extrêmes parfois. Je me demande pourquoi ils ont fait des gosses. Ce que ça leur apporte de plus qu’un animal de compagnie par exemple. Je ne peux pas m’empêcher de me demander ce qui m’échappe dans cette histoire. Ils ne les voient pas de l’année. Et là, en vacances, quand ils ont tout le temps nécessaire pour enfin partager pleinement la vie de leurs gamines…ils m’emmènent avec eux. Et c’est avec moi qu’elles grandissent. Il y a vraiment quelque chose que je ne saisis pas.
1er août, nous sommes sur le départ. Direction: le Sud. Pause de deux nuits à Carcassonne. On dort dans une suite dont je n’arrive toujours pas à saisir l’utilité. Je t’explique: on est là pour deux nuits, nos journées et nos soirées se passeront à l’extérieur. Famille, amis, visites. Ailleurs. Dans la suite, il y a une énorme cuisine américaine, ultra moderne. Qui n’est là que pour le décor: un panneau indique qu’il est interdit d’y toucher. Il n’y a même pas d’ustensiles dans les placards. Tout ça n’est là que pour l’apparat. Dans les chambres, un écran plat encastré au mur. Un salon avec tout le matériel hi-fi et vidéo que tu veux mais dont tu ne peux pas te servir non plus puisque tu ne rentre que pour dormir. C’est juste dingue, tout cet argent jeté par les fenêtres.
Les parents, super sympas, me proposent de me donner mes deux soirées libres. Ils vont voir de la famille. Je peux venir si je veux, mais ils comprendraient très bien que je ne sois pas super à l’aise et me disent qu’il n’y a pas de soucis, ils prennent les filles, je peux aller me balader dans la cité. C’est comme ça que je découvrirai pour la première fois cette merveilleuse ville qu’est Carcassonne.
Sous les pavés, la plage
4 août: nous arrivons à Ramatuelle. Je rencontre le grand-père, patron à l’époque de cette fameuse boîte qui te fournit ton électricité (j’ai dit que je ne la nommerais pas, n’insiste pas!), ainsi que sa femme. D’autres membres de la famille sont là. Très accueillants, chaleureux, agréables. Pour la petite histoire, un de mes oncles est bien placé dans la dite boîte (mais je paye quand même mes factures, si ça peut te rassurer!). Je dis au grand patron que je suis la nièce de ce monsieur. Il me dit que le monde est petit. On me montre mes quartiers, j’installe les affaires des filles. La maison est incroyable, mais meublée très simplement, ce qui m’étonne largement. Je m’attendais à trouver tout un tas de trucs hors de prix et inutiles. Pas du tout. Une vieille maison de bord de mer, superbe. Beaucoup de livres, des meubles anciens. Une toute petite télévision, cachée dans un placard. Mais tout cet espace…c’est immense. Une plage privée, tout de même. Avec accès directement depuis le fond du jardin. Et puis un yacht. Pas énorme en regard des moyens dont dispose la famille, mais un yacht quand même. Plusieurs fois, on passera l’après-midi en mer, dans les petites criques cachées à l’abri des regards, à regarder les poissons avec des masques dans une eau d’un bleu n’ayant rien à envier aux plages martiniquaises. Ma chambre donne directement sur la mer. Je me réveille et m’endors avec le clapotis des vagues, qui sont à peine à 100 mètres de ma fenêtre. Le boulot est dur, mais bon sang, ce cadre…
J’ai repris mon rythme effréné. Levée 6h15, couchée minuit, pas un seul jour de congés car je les garde pour aller passer 4 jours avec mon amoureux. Je commence vraiment à être HS. Des oncles et tantes des petites sont là, avec leurs enfants. La mère me dit qu’il ne faut pas que j’hésite à leur laisser un peu les filles, qu’elle voit bien que je suis au taquet tout le temps et que je peux prendre tous les jours deux heures en début d’après-midi si je veux, pour faire la sieste par exemple. Je ne me fais pas prier.
Tous les jours, les parents s’absentent. Golf, tennis, bateau. Ils partent souvent la journée entière, et les petites passent leur vie avec moi. Un jour qu’ils auront décidé de rester là, Coralie viendra voir sa mère qui se balance dans le rocking-chair de la terrasse, un bouquin à la main. « Maman, tu viens faire un dessin? ». « Attends, ma minette, je lis ». Je regarde ça d’un air désolé. Pour une fois qu’ils étaient là. Coralie doit se dire la même chose car elle se retourne et je vois ses yeux brillants de larmes. J’étale les crayons sur la table et je l’appelle. Pas de soucis, on va dessiner. Une heure plus tard, elle m’offrira son dessin. Dessus, il y a elle, sa soeur, et moi. La mer, des arbres, et un coeur maladroit au dessus de ma tête. Elle m’énerve souvent cette petite. Mais je garde mon calme et je l’aime bien quand même. Son comportement n’est pas sa faute. Je me dis même que c’est sans doute une chance qu’elle et sa soeur soient prises en charge toute l’année par des filles comme moi, qui ont les pieds sur Terre et qui leur remettent les idées en place. Sinon, elles seraient peut-être bien pires. Non, le restaurant tous les midis n’est pas un dû, Minette. C’est un privilège. Tu aimes bien le faire, et moi aussi d’ailleurs, mais il faut savoir se contenter de moins.
Le lendemain, toute la famille est à la plage. De mon côté je suis devenue une vraie pro de la position dite « du phare ». En tailleur sur ma serviette, une main en visière, à scruter le moindre mouvement des filles. Les brassards de camille: check. La frite en mousse de Coralie: check. Non, Camille, tu ne vas pas dans l’eau toute seule, tu m’attends! Coralie, redonne le seau à ta soeur, merci. Venez là les filles, on remet un coup de crème solaire.
Et ce qui devait arriver, arriva
Non, pas la peine de faire une crise cardiaque. Aucune des deux ne s’est noyée, j’ai assuré comme une bête. Ce qu’il s’est passé, c’est qu’un jour le père a eu un éclair de conscience. Les petites jouaient sur le sable. Lui, il lisait depuis deux heures, entre deux micro-siestes. Et puis, tout d’un coup, il a eu envie de s’occuper de ses filles. Il est allé les voir, et leur a proposé d’aller se baigner. « Non, on y va avec Julie! ». Elles posent leurs pelles et leurs seaux. Camille me tend ses brassards. En lui enfilant je jette un coup d’oeil rapide et un peu embarrassé vers le papa. Lui avait déjà les yeux posés sur moi.
Il me regardait comme si je venais de lui voler ses gosses.
Complète la phrase: _ _ _ _ _ _ _ au _ _ _ _ _ _ _ _ épis_ _ _
Si tu as loupé le début, c’est là, et pour le chapitre 2, c’est là.