De l’accueil des études, de la volonté, de l’amour et de la justification systématique par la mort.

Materner au quotidien > WM s'interroge

En voilà un titre qu’il est chelou (et long), hein?

Aujourd’hui, on va parler de deux choses à priori indépendantes mais qui, spécifiquement dans le domaine de la maternité, des bébés et de l’éducation en général, sont tout à fait liées. La réflexion vient d’une remarque intéressante d’une likeuse de la page Facebook du blog, alors que je partageais cet article de La Leche League concernant la signification des pleurs chez le bébé. Le présent billet n’est pas une réponse que je lui adresse mais une réflexion générale issue de sa remarque. Donc pas de confusion: les propos qui vont être tenus dans les lignes suivantes ne s’adressent pas à elle en particulier, d’autant que en dehors de ce fil de discussion généré sur la page, je ne sais absolument pas quel est son comportement face à des études qui viendraient contredire ses propres pratiques (si tant est que cette étude les contredisent: je ne sais pas si elle fait partie des parents faisant le choix de laisser pleurer ou non, et à la limite ce n’est pas la question). Maintenant que la nuance est posée, voici donc l’échange initial de commentaires:

Elle: « ce qu’il y a de bien dans les études et les recherches, c’est que selon ce qu’on recherche, on le trouve….. »
Moi: « ce qui signifierait par exemple qu’elles sont fausses ou subjectives? Celles sur les pleurs et la réponse aux besoins sont légions maintenant. La Leche League est loin d’être le seul organisme à en parler. La recherche et la connaissance avancent dans tous les domaines, y compris les bébés… »
Elle: « Nan mais la majorité de ce qui est dit est certainement vrai, mais c’est un fait, si demain des chercheurs se mettent à chercher sur les enfants capricieux, ils trouveront des soit disantes preuves pour démonter certaines de ces théories là… Quand on fait des recherches dans un but de prouver une théorie, on est forcément subjectif dans l’interpretation des resultats (dans tous les domaines)
Donc, ce que je veux dire, ce n’est pas que c’est faux, mais qu’ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient, et qu’il faut toujours prendre une petite distance quand on parle des résultats de recherches, quelle qu’elle soient. »

Je suis tout à fait d’accord avec le dernier point: le recul face à toute information donnée ou reçue est une composante majeure d’une connaissance solide et responsable. Quelque soit son degré de corrélation avec nos propres convictions, il est important de juger de la fiabilité d’une information avant de la considérer comme vraie et acquise, de la recouper avec d’autres pour être sûr de son bien-fondé.

Cependant j’ai remarqué, en ce qui concerne la maternité et pour avoir croisé de nombreux résultats d’études ici et là notamment sur facebook et sur divers blogs, que les études sont quasi-systématiquement sinon décriées, au moins fortement remises en doute, d’autant plus lorsqu’elles prennent pour sujet les conséquences d’un comportement visant à améliorer le bien-être de l’enfant dans son cercle familial et dans les méthodes d’éducation employées (souvent en prenant pour comparaison ce qui se faisait « avant » ou ce qui se fait toujours actuellement: laisser pleurer/ne pas laisser pleurer, fessée/pas fessée…). Les plus controversées étant évidemment les études traitant des pleurs, des châtiments corporels tels que la fessée, mais aussi et surtout de la comparaison entre lait maternel et lait artificiel.

Ainsi, on remarquera que les partisans de la fessée accueillent les études démontrant son inutilité avec beaucoup de véhémence, et rejettent souvent les critères retenus pour élaborer l’étude en question. De la même façon, les partisans des pleurs trouvent de nombreuses justification à leur utilisation malgré les démonstrations de plus en plus fréquentes, à divers endroits, de leur nocivité et de leur inefficacité. Enfin, dans le cas de la (sensible…) comparaison lait artificiel/lait maternel, là encore les justifications des utilisateurs de préparations commerciales sont légions et souvent utilisées pour démonter les résultats obtenus par la recherche.

Je ne sais si je suis dans le vrai, toutefois il me semble détenir un élément de réponse. Je m’étais fait la réflexion déjà lors d’une discussion avec ma grand-mère qui, me voyant allaiter ma fille, m’avait dit « de toute façon, profites-en, tu verras à 6 mois tu n’auras plus de lait ». J’avais répondu, étonnée, qu’il n’y avait pas de raison, que la stimulation engendrait la production, que du coup elle tétait à la demande et que, même, je lui proposais avant qu’elle ne réclame: au mieux elle acceptait, au pire elle refusait, pas grave. Et que surtout, la recherche avait maintenant établi que le manque de lait était rarrissime, même passé 6 mois, et qu’il résultait surtout d’une mauvaise gestion de l’allaitement (restrictions des tétées, mauvais conseils, etc). Je pensais, en lui disant cela, lui faire part d’un progrès important. Elle avait finalement coupé court à la discussion en me disant « non mais attends, j’ai allaité 4 enfants, au bout de 6 mois je n’avais plus de lait, mais amies étaient pareilles, tu ne vas pas m’apprendre comment on élève des enfants et surtout pas comment fonctionne l’allaitement ».

J’étais restée assez choquée par cette discussion: on trouve peu de personne pour s’insurger contre les études révélant les dangers du Bisphénol A, du tabac, de l’aluminium…dans ces domaines, bizarrement, la science a raison et les gens acceptent sans trop de difficultés de changer leurs pratiques et leurs habitudes, d’inventer parfois de nouvelles solutions, pour s’adapter au nouveau stade des connaissances. Mais dès que l’on touche à la maternité, à la paternité, au développement du bébé, ou à tout ce qui revient à mettre en question de près ou de loin une méthode éducative, la science est soudainement faillible et n’a rien à apprendre à ceux qui sont déjà parents, l’empirisme et la suprématie des connaissances augmentant, visiblement, proportionnellement au nombre d’enfants mis au monde.

Accepter d’accueillir une étude remettant en question une pratique ancrée depuis des décennies dans la société, que l’on applique peut-être nous même non pas par conviction de son bienfait mais par simple mimétisme (« on a toujours fait comme ça! ») revient en effet à accepter de remettre en question ses propres choix parentaux, et parfois même l’éducation que l’on a reçue toute entière. Accepter de s’interroger sur les pratiques utilisées par nos parents sur nous même, que l’on reproduit ensuite de façon naturelle, accepter de reconnaître, dans certains cas, qu’elles étaient effectivement inadaptées. Et accepter alors, de peut-être inventer d’autres méthodes pour changer sa relation à l’enfant. Je retiens par exemple, lors de la publication de mon article Laisse le pleurer…vraiment? une phrase postée dans un commentaire: « n’oublions pas que nous ne sommes jamais les premiers à enfanter ». Sous-entendu: d’autres sont passés par là avant et si on a toujours fait comme ça, c’est peut-être qu’il y a une raison.

Ou pas.

C’est peut-être juste que l’on CROYAIT que c’était bien, que c’était bon pour l’enfant et que ça lui rendait service. C’est peut-être que l’on n’avait pas l’information, celle apportée justement par la science que l’on accepte pourtant dans tant d’autres domaines. C’est peut-être juste qu’on ne SAVAIT pas les conséquences de telles ou telles pratiques.

A la fin du XIXème siècle, on CROYAIT que les châtiments corporels des enfants en utilisant le ceinturon ou la bastonnade étaient les seules manières d’obtenir une éducation correcte. Aujourd’hui, on SAIT que c’est une ineptie et on peut d’ailleurs, en continuant d’appliquer ces principes, se retrouver dans de sales draps (recouvrant un lit de prison, par exemple). Il y a encore peu de temps, dans les années 80, on CROYAIT que les bébés ne ressentait pas la douleur, aussi on les opérait à coeur ouvert sans anesthésie et on s’étonnait que seulement 3 sur 10 d’entre eux survivent. Aujourd’hui, on SAIT que c’est une torture qui a été infligée à des milliers de bébés et plus personne ne viendrait mettre cela en cause.

Aujourd’hui, on CROIT encore que laisser pleurer un enfant est une solution bénéfique et efficace, alors même que l’on SAIT de plus en plus que c’est une erreur de par les observations des conséquences parfois désastreuses sur la physiologie et la psychologie de l’enfant . On CROIT encore qu’il est bon d’apprendre la propreté à un bébé dès 12 ou 15 mois, mais on SAIT que la maîtrise des sphyncters n’intervient pas avant 2 ans (sauf cas précoces, cela peut évidemment arriver, comme dans toute règle, il y a des exceptions). On CROIT encore que les tétées doivent être espacées de 3 heures, mais on SAIT que l’allaitement doit être mené à la demande pour que l’enfant se développe correctement. Les exemples sur ce modèle sont légions.

Malheureusement, et c’est compréhensible, le fait de citer ces connaissances lorsque l’on se retrouve face à l’expression d’une croyance provoque souvent chez le « croyant » non pas un intérêt pour l’information donnée du type « cela mériterait de s’y attarder », mais presque immédiatement le sentiment d’être jugé. Pourtant il y a une énorme différence entre faire – ou nier – sans savoir, et faire ou nier malgré tout en refusant d’entendre et de réfléchir aux progrès permis par la science et la recherche. Lorsqu’on ne sait pas, on n’est pas responsable sciemment d’un comportement inadapté. Lorsque l’on refuse de porter toute attention à une information donnée parce qu’elle va à l’encontre de nos pratiques d’une part, et parce qu’elle les remet en cause d’autre part, la donne est différente.

Viennent alors la volonté et l’amour.

Les deux arguments massues. « De toute façon, chacun fait comme il veut », suivi de près par « oui enfin, le plus important c’est quand même l’amour qu’on porte à nos enfants ».

J’ai envie de dire: oui mais non. Faire quelque chose avec amour ne suffit pas. Si la chose en question est reconnue comme néfaste, la faire en aimant son enfant ne la rend pas moins néfaste, ce serait trop beau, et surtout trop simple. Quand à la volonté, elle me semble être un argument trop vite envoyé pour couper court aux sujets sensibles qui mériteraient des débats, des discussion, des réflexions. L’éducation pour moi va au delà de la simple volonté. Plutôt que « chacun fait comme il veut », je préférerais quelque chose de l’ordre de « chacun fait comme il sait ». Autant, il y a 60 ans, éduquer selon les croyances populaires était logique, autant aujourd’hui, l’accès à l’information étant plus simple, je pense que l’on peut faire ses choix non plus « parce qu’on a toujours fait comme ça » mais plutôt parce que l’on aura réfléchi à la question en s’informant. On pourrait crier à une théorisation excessive de l’éducation ou de la maternité…je ne crois pas. L’amélioration du cadre de vie des bébés (moins de violence, de souffrance, de frustrations injustifiées) ne vaut-elle pas quelques heures de lecture et de documentation par ci, par là?

Et la mort dans tout cela?

Ou la vie, tout dépend comment on se place. Argument imparable entre tous: « …………et je n’en suis pas mort ». Remplacez « …………… » par « j’ai reçu des fessées déculotées », « on m’a laissé pleurer », « j’ai été allaité toutes les trois heures » ou toute autre situation de votre choix.

J’avoue être atterrée par ce genre d’argumentation. Donc, la finalité de l’éducation serait juste de parvenir à ne pas faire mourir nos enfants. On pourrait alors justifier par cela tout un tas de pratiques absolument abjectes: « J’ai été fouettée à coup de ceinture mais je n’en suis pas morte ». On pourrait aussi remettre en cause tout un tas de systèmes de sécurité actuels: « J’ai été transporté en voiture sans siège auto et je n’en suis pas mort ».

Tant que l’enfant ne meurt pas, donc, tout va bien et on peut absolument tout pratiquer. Vu qu’il ne meure pas.

Pour conclure,

Je ne suis pas maman depuis longtemps. Sur ce blog, on lit ma façon de découvrir la maternité, les choix que j’ai faits pour ma fille. Je ne prétends pas que tous ces choix sont les bons, toutefois il y en a certains dont je ne démordrai pas tant l’information à leur sujet est accessible, fiable et multiple, comme les pleurs ou l’allaitement. Certainement d’autres aussi où je serais ouverte au changement, ou du moins à la remise en question, si jamais je venais à apprendre qu’ils étaient finalement inadaptés. Certains trouveront que je moralise, ce n’est pas le but. Simplement, je m’interroge beaucoup, sur ce que je fais, sur ce qu’on me dit de faire, sur ce que mon instinct me dit de faire, sur ce que les autres me renvoient de ma façon de faire, et sur ce que font ces mêmes autres. Pour moi, c’est comme ça qu’on avance.

Aujourd’hui, nous avons la chance immense de pouvoir élever nos enfants avec de vraies connaissances, des éléments concrets, qui nous permettent de faire des choix éclairés et non pas « parce qu’on a toujours fait comme ça ». De dépasser les croyances populaires pour tendre vers une relation à l’enfant plus épanouie, moins violente, moins pré-destinée à placer l’enfant dans des situations qui sont pour lui douloureuses ou difficiles.

Alors plutôt que de parler toujours du passé, si on regardait plutôt devant?

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