Celle qui ne voulait pas ranger les crayons

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Hier dimanche, nous étions dans l’Allier, en visite chez mes grands-parents qui voyaient Marin pour la première fois et rencontraient, non sans une certaine émotion, leur neuvième arrière petit-enfant.

En fin de journée ma grand-mère a sorti pour Lou un carton rempli de livres de coloriage et de boîtes de crayons de couleur. J’ai reconnu certains des bouquins, ceux-là même que je griffonnais avec ma cousine pas loin de 25 ans plus tôt…recouverts de nos œuvres d’art, il leur reste pourtant encore de la place pour les gribouillages de la nouvelle génération.

Bien plus que les livres en eux-même au départ, ce qui a intéressé Lou fut la possibilité de tout sortir de ce carton géant. Pour y trouver finalement, caché entre deux livres au fond, un jeu de Uno un peu corné et aux cartes légèrement délavées. Marqué par le temps lui aussi.

Son père lui dit alors, en lui tendant le jeu : « Oh tiens regarde, des cartes, super ! ». Lou s’en saisit, elle adore les cartes. La voilà qui commence à les étaler autour d’elle. Mais finalement les yeux de papa se posent sur la boîte de crayons de couleur renversée sur le tapis. « Par contre Lou, avant de jouer aux cartes il faut ranger les crayons ». Tant bien que mal, Papa parvient à l’amener à l’emplacement de la boîte, mais impossible d’obtenir la coopération de sa fille. « Non je range pas moi » « Non c’est Papa qui range les crayons », etc. Papa s’impatiente, il s’agace, réitère sa demande sur un ton un peu plus ferme, je me joins au groupe pour aider Lou à entrer dans le fait de ranger les crayons, elle monte dans les tours, s’énerve, crie. Trop tard. Echec, elle est rentrée en mode frontal, si on insiste c’est la crise. Papa insiste, et c’est donc la crise.

Les crayons sont finalement rangés, mais Lou reste dans son nouvel état de nerf. L’heure avançant, Papa dit que maintenant il faut ranger les cartes car on doit partir, il tente le contournement par le jeu en lui demandant de faire une belle pile avec lui, Lou bien évidemment fait tout le contraire, elle prend les cartes, les balance par terre. Papa s’énerve, on entre de nouveau en mode frontal sur un état de nerf déjà éprouvé, re-crise, re-échec.

Plus tard dans la voiture, on rediscutera de la situation et voici les conclusions que nous en avons tiré.

Notre analyse :

– On venait de lui tendre un nouveau jeu après les coloriages. Elle démarrait donc une nouvelle activité finalement interrompue pour en ranger une autre. L’erreur a été dans ce cas de créer d’entrée une situation de frustration difficile à gérer pour elle qui était de fait ravie de s’amuser avec le jeu de Uno: « Papa me donne les cartes mais en fait je n’ai pas le droit de les utiliser car je dois ranger les crayons ».

Ce qu’on fera la prochaine fois : avant de proposer une autre activité, vérifier que les précédentes ont été rangées si c’est la règle que l’on souhaite lui apprendre au quotidien. Si des choses traînent, les ranger avec elle puis passer à l’activité/au jeu suivant.

– Nous pensons que son opposition « Non je range pas les crayons moi » n’est pas une marque de désobéissance, ou une volonté délibérée de nous contredire juste pour ne pas faire ce qu’on lui demande, mais l’expression avec des termes mal choisis de « Mais moi je voulais jouer aux cartes, je veux continuer à jouer aux cartes ». Autrement dit, son incompréhension face à un jeu qu’on lui donne puis qu’on lui reprend.

Ce qu’on fera la prochaine fois : exprimer qu’on a fait une erreur, qu’on a donné les cartes mais qu’on avait oublié la règle de ranger les jeux précédents et que de fait, cela l’oblige à arrêter son nouveau jeu. Lui proposer de l’aider pour que tout soit rangé très vite et qu’elle puisse reprendre sa nouvelle activité.

– Le fait de jeter les cartes au sol et de refuser de les mettre en pile est une suite du point précédent : non seulement on lui demandé de stopper son activité alors qu’elle prenait à l’instant possession des cartes mais en plus, comme le rangement des crayons a pris du temps du fait de la crise, il était ensuite temps de ranger également les cartes. Au final, on lui a donné un jeu, on l’a empêché de jouer avec pour en ranger un autre, et au moment où elle pensait pouvoir à nouveau jouer aux cartes il était finalement temps de les ranger elles-aussi. Nouvelle couche de frustration et d’incompréhension, pas assez d’écoute et d’analyse de notre part, crise, échec. Same player shoot again !

Ce qu’on fera la prochaine fois : anticiper l’heure de départ et les jeux possibles. Ne pas donner de nouveaux centres d’intérêts et de concentration moins de 15 minutes avant de partir. Sa réalité n’est pas la nôtre : si nous adultes savons zapper d’une activité à une autre en 2 minutes, elle, à deux ans et demi, se retrouve absorbée par son activité psychomotrice dès qu’elle commence un jeu qui lui plaît. Elle a besoin d’un minimum de temps pour se l’approprier et pouvoir en sortir sans difficultés : l’interrompre de cette façon ne peut amener que de la frustration de ne pas pouvoir aller au bout de son processus de jeu. Dans un contexte de dimanche où personne n’était pressé, on aurait largement pu prendre 10 minutes pour faire une petite partie de cartes avec elle ou pour la laisser faire ce qu’elle voulait avec.

Ce qu’on appelle la phase d’opposition…

Quand je vois ce genre de situations, je me dis qu’on parle très souvent de phase d’opposition, l’enfant qui dit non, qui ne veut pas faire ci, ou ça, qui crie, fait des crises quand on lui demande quelque chose…je ne sais pas si notre analyse est la bonne mais j’ai très souvent l’impression qu’en guise de phase d’opposition, c’est plus souvent les parents qui sont en opposition avec la réalité de l’enfant plutôt que l’enfant qui est en opposition avec ses parents. Ici cela me semble assez criant, nous avons maintenu, sans le voir sur le moment, une opposition à sa réalité somme toute très basique : jouer avec le nouveau jeu qu’on venait de lui donner. On ne saura pas ce qu’aurait donné la même situation en appliquant les idées que l’on a échangées ensuite dans la voiture. Mais il est certain que si une situation similaire se reproduit, on tentera de se placer beaucoup plus vite au niveau de sa réalité d’enfant de deux ans et demi.

De par les réflexions de ma grand-mère sur son attitude à ces moments, elle a été jugée sévèrement et négativement, elle a entendu qu’elle était quand même capricieuse, que ce n’était pas joli de désobéir, et qu’elle n’était pas mignonne. Je n’en veux pas à ma grand-mère, nous sommes d’une autre époque, mais de tels mots peuvent blesser, rester en mémoire, fragiliser l’estime de soi, surtout quand dans la tête de l’enfant l’idée n’est pas de dire non sans raison mais d’exprimer sa propre réalité: dès lors ces jugements s’imprègnent comme une injustice dans la tête du petit qui ne fait pas le lien entre sa réalité et les jugements négatifs qu’on lui impose. J’en ai donc reparlé avec Lou le soir, en lui disant que ma Mamie n’avait pas compris la situation, qu’elle n’avait entendu que les cris de la colère mais qu’elle n’avait pas pensé au reste et que dans tous les cas, ce n’était pas vilain de dire non, et que tout le monde avait le droit de le faire même si ce n’est pas ce que l’autre en face attend. Et qu’on n’était pas plus mignonne parce qu’on disait tout le temps oui.

Cette situation arrive peu de temps après la découverte d’un article que j’avais partagé sur la page facebook du blog, que je vous redonne donc car il peut amener d’autres pistes sur les « non » parfois brutaux de nos petits : « J’ai 2 ans et je te dis non parce que c’est bon pour ma santé (educationrelationnelle.wordpress.com/2013/10/25/jai-3-ans-educ-je-suis-encore-petite/) »

Bonne lecture!

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