Avant Elle, mes idées étaient assez différentes.
Contrairement à ce qu’on peut croire, quand on me voit aujourd’hui défendre ardemment les pratiques dites du « maternage proximal », elles n’ont pas toujours fait partie de ma conception de la maternité. Hormis la question du laisser pleurer contre laquelle je me « bats » depuis longtemps maintenant, et la question de l’allaitement qui était pour moi simplement une évidence, tout le reste m’est venu sur le tard, dès lors que le projet de bébé a été concrètement évoqué dans mon couple il y a maintenant deux ans et bien sûr (et surtout) pendant ma grossesse et une fois ma fille venue au monde.
Il y a quelques années, je me disais qu’habituer un bébé à s’endormir au sein n’était pas forcément une bonne chose. Je pensais également que passé les trois ou quatre premiers mois, un bébé devait faire ses nuits sinon ce n’était pas « normal ». Je pensais que lorsqu’un enfant se réveillait à 3h du matin, c’était uniquement pour manger et que si ce n’était pas le cas, alors c’était juste un caprice « parce que les bébés savent très bien embêter leurs parents et les faire tourner en bourrique ».
Je pensais aussi que trop habituer l’enfant aux bras n’était pas lui rendre service, et qu’il valait mieux l’habituer à rester le plus possible dans son transat ou son couffin les premiers mois histoire qu’il soit plus simple de le confier à quelqu’un d’autre « le moment venu ». En bref, lui apprendre à être seul assez tôt, pensant que ce serait plus simple ensuite. Et évidemment, j’étais convaincue que faire dormir le bébé dans la chambre parentale les premières semaines était bon pour tout le monde, mais qu’ensuite il était important pour l’équilibre de l’enfant qu’il ait sa chambre, son univers, et que chacun dorme bien tranquillement chacun de son côté.
Je me disais aussi qu’un bébé de 1 an qui pleure dès qu’on le pose dans son lit et réclame les bras était surtout capricieux (la preuve, une fois repris dans les bras, les pleurs s’arrêtaient, c’était donc bien un caprice à base de « je ne veux pas aller au lit »).
J’ai toujours adoré les enfants, adoré m’en occuper, mais depuis toujours je gardais en tête la petite chanson à base de « ne pas trop ceci, ne pas trop cela, après on ne s’en sort pas ». Ou encore « dormir avec son bébé c’est la meilleure manière de ne plus pouvoir dormir tranquille ensuite ». Bref, le discours habituel sur l’éducation des bébés en occident. J’ai toujours refusé, par contre et catégoriquement, même il y a longtemps quand je n’étais qu’une ado qui faisait du baby-sitting de petits bébés, de laisser pleurer. Les parents avaient beau me dire « si jamais il pleure alors qu’il a mangé, qu’il est changé et qu’il a eu sa berceuse, laisse le pleurer. Il finira par s’endormir ». Ca c’était au dessus de mes forces. D’aussi loin que je me souvienne, les pleurs des bébés ont toujours déclenché chez moi des réactions physiologiques intenses (stress, sueurs, palpitations…il fallait que ça cesse séance tenante. Mes lectures récentes m’ont appris que ces réactions sont effectivement conçues spécialement pour que l’adulte fasse cesser l’inconfort de l’enfant, j’en ai déjà parlé ici par exemple)
Dans mon entourage, j’avais des connaissances qui pratiquaient le maternage proximal d’une façon que je trouvais complètement excessive. Ok, je trouvais que le portage était une solution pratique et sympa, mais bon, toute la journée faut pas pousser quand même. Ok, dormir avec son bébé les premières semaines c’est bien, mais bon à 8 mois ça devient un peu lourd non? Et le couple là-dedans? Ok l’allaitement c’est vraiment super, mais bon à 2 ans on peut aussi passer à autre chose peut-être? Ok, on ne laisse pas pleurer, mais demander au bébé ce qu’il a dès qu’il manifeste quelque chose afin qu’il ne pleure pas DU TOUT, c’est quand même un peu extrême et ça fera des capricieux à coups sûrs!
Je pourrais faire une liste longue comme mon bras de tout ce que je me disais en regardant faire les 3 ou 4 amies que je voyais agir ainsi. Et je m’étais dis « ce qui est sûr, c’est que je ne ferai pas comme ça. Donner tout l’amour qu’il faut au bébé oui, mais là quand même c’est trop ».
Et puis ma grossesse est arrivée.
Franchement, j’en garde un souvenir assez neutre. On peut en lire quelques tranches sur ce blog, il y a eu des moments rigolos, peu de moments désagréables…jusqu’au 8ème mois où tout s’est gâté ce fut somme toute une grossesse très banale. Je ne me retrouvais pas du tout dans ces jeunes et futures mamans qui parlaient à leur bébé, se caressaient le ventre…oui, il y avait quelque chose là, qui grandissait en moi, et c’était un peu hallucinant. Mais c’était juste irréel. J’attendais la naissance pour me rendre compte, pour comprendre que ça y était, j’étais passée de l’autre côté et que tout avait changé pour le reste de mes jours.
Mais tout de même, ça s’est mis à travailler sévère dans ma petite tête. Depuis plusieurs mois, je lisais des blogs de mères étiquetées « maternantes » , et je devais bien admettre que je me retrouvais de plus en plus dans leurs propos détaillés et argumentés sur les besoins affectifs du nourrisson, sa psychologie, son besoin de contact intense pour faire le lien entre le ventre si sécurisant qu’il venait de quitter et le monde extérieur où tout n’était qu’agression les premiers temps: sons, lumières, gravité, faim, froid, peur.
Alors j’ai commencé à lire un peu plus, à me documenter de mon côté sur le portage, le cododo, la fessée, les pleurs…. J’étais toujours convaincue que mon bébé dormirait dans sa chambre alors je préparais la déco, les meubles. J’étais de plus en plus convaincue par les bienfaits du portage mais toujours comme un moyen ponctuel, alors je remplissais l’armoire de ma fille de tout un tas de tenues crousti-choupi-fondantes pour qu’elle soit la plus belle des petites filles quand elle se baladerait dans la jolie poussette prêtée par une cousine de GrosChéri. La dite poussette est aujourd’hui au garage et n’a servi qu’une seule fois quand ma fille avait 15 jours.
Et puis ma fille est née.
A cet instant tout ce que je croyais, tout ce que j’avais prévu de faire et de ne pas faire, de dire et de ne pas dire…tout s’est écroulé. En un seul petit souffle de ce bébé tout chaud au creux de mon cou, s’en était fini de tout cela. Naissance un peu difficile avec déclenchement presque un mois en avance, bébé calme mais au besoin de contact permanent. Qu’à cela ne tienne, elle dormira sur mon ventre nuit et jour, et dans le lit parental, les trois premières semaines (bizarrement, le temps qu’il lui aura manqué dans mon ventre et je ne pense pas du tout que ce soit un hasard…).
Elle sera portée toute la journée pendant presque 3 mois, faisant contre moi toutes ses siestes du matin au soir. Je l’allaiterai à la demande sans aucune restriction et me réjouirai du pouvoir du sein à l’endormir, la consoler, la nourrir, la rassurer en toute circonstances. Je ferai également le choix de ne pas la laisser aller jusqu’aux pleurs pour exprimer ses besoins et d’y répondre systématiquement sans me poser aucune question, de jour comme de nuit.
De lui offrir mes bras à chaque fois que nécessaire, de l’accompagner dans son sommeil. De ne pas lui apprendre à s’endormir seule (quel intérêt pour elle? Elle n’est pas gardée, je suis à la maison, pourquoi chercher à lui apprendre ça alors que c’est inutile pour le moment et pas prévu comme ça initialement? Plus elle grandit, plus elle se prépare à le faire d’elle-même un jour ou l’autre, alors pourquoi créer une situation pénible pour tout le monde alors que rien, dans notre mode de vie, ne nous l’impose?)
Et aujourd’hui à la maison, ça donne quoi?
Ca donne un bébé qui a progressivement accepté, semaine après semaine et sans lutte, de dormir dans son lit, collé au nôtre, et d’y passer maintenant la majorité de ses siestes diurnes ainsi que ses nuits de 20h30 à 10h du matin. Bien loin des « si tu la laisses dormir toujours dans l’écharpe, tu ne pourras plus la faire dormir ailleurs ».
A 5 mois et demi, elle ne « fait pas ses nuits » pour certains car elle tète encore deux fois, à 3h et à 7h. Mais si on considère qu’elle passe 14h dans son lit sans problème, pour ma part quand on me pose la question je réponds que oui, elle fait ses nuits.
Ca donne des couchers câlins et sans pleurs, et des réveils plein de tendresse quand elle nous appelle à quelques centimètres de nous et que ce sont ses petits bruits qui nous tirent du sommeil le matin. Ca donne une chambre de bébé transformée pour le moment en dressing. On verra, plus tard, si on constate que le sommeil partagé pose souci (qu’on parle d’elle ou de nous), si la passer dans une chambre seule est une solution, mais pour le moment ce n’est plus du tout d’actualité et le papa apprécie tout autant que moi de dormir avec elle.
Ca donne un bébé qui ne pleure quasiment jamais, et qui utilise quand elle a besoin de quelque chose des petits cris et des sons l’air de dire « youhou, maman, je suis là regarde j’ai besoin de ça! », et peut les réitérer un long moment avant de passer aux pleurs car elle sait très bien que même si je mets un peu de temps parce que je suis en train de faire quelque chose que je ne peux pas laisser en plan, je vais forcément venir à un moment ou à un autre et que je ne la laisse pas dans le besoin. Elle n’utilise les pleurs qu’en dernier recours, quand vraiment j’ai laissé passer tous les autres signaux sans réagir. Il se passe parfois plus de 72 heures sans qu’elle ne pleure, et tout le monde s’en porte à merveille…moi la première, tant les pleurs me mettent physiquement en douleurs comme je l’expliquais tout à l’heure.
J’ai lâché prise.
Je n’ai rien contrôlé. A sa naissance, ces comportements se sont imposés à moi. Comme on en parlait l’autre jour avec ma keupine Baby Pop (www.babypop.fr/), ce ne sont pas des dogmes que j’ai appliqués juste parce que les livres me disaient que c’était bon pour mon bébé, ou pratique, ou que sais-je d’autre. C’est venu du fond de mes tripes, parfois en complète contradiction avec ce qu’étaient mes convictions passées. Mais j’ai lâché prise. Je suis passée en pilote automatique, et je me suis adaptée à ce que me renvoyait mon bébé. Mes lectures depuis me confortent souvent dans ces choix, apportant quelques données de connaissances supplémentaires sur le fonctionnement du bébé, ses affects etc, mais ce ne sont pas elles qui guident ma façon d’être mère.
J’ai changé d’avis sur tellement de choses. Et aujourd’hui, quand je regarde mes copines que je trouvais extrêmes il y a encore un an et demi, je rigole bien. Parce que sur certains points je suis sans doute pire qu’elles.
Je me suis découvert une façon d’être mère très particulière. La mienne, unique pour mon bébé, composée au jour le jour avec ma fille et ce qu’elle est, ce qu’elle me renvoie de mes actions envers elle. Avant Elle, je savais que j’aimerais mon enfant, que ma vie ne serait accomplie qu’après avoir fait cette expérience de la maternité, mais je ne savais pas qu’un jour je serais étiquetée « maternante proximale » et même, je m’en serais défendue si on me l’avait dit.
Avant Elle, je ne savais tout simplement pas dans quoi je me lançais.
Avant Elle, j’étais juste…quelqu’un d’autre.
Speak in the touuuuff’! (Illusion d’optique)