Un juste milieu

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Hier, France 2 a fait bouillir mon cerveau.

Sylvie Testud était l’héroïne de l’émission « Rendez-vous en terre inconnue ». Elle se rendait au Tchad, dans le clan des Goranes, tribu nomade du désert. Durant ce séjour, elle a tissé des liens forts avec une femme, enceinte de 8 mois, avec laquelle elle a longuement échangé sur l’accouchement, la naissance, l’éducation des enfants. Cette femme, enceinte de son 4ème enfant, s’étonnait par exemple que nous les françaises n’emmenions pas notre enfant au travail en le portant sur notre dos. Mais un échange m’a bouleversée entre tous:

« Et tu accouches avec qui? »
« Avec personne. J’appelle les autres une fois que j’ai coupé le cordon »
« oÔ »
« Ce n’est pas comme ça chez toi? »
« Heu…non. On accouche à l’hopital, avec tout le monde. Mais donc personne ne t’aide? »
« Mais je n’ai pas besoin d’aide… »

Même GrosChéri, qui bien qu’habitué à m’entendre m’interroger sur la parentalité, l’éducation, n’est pas du tout aussi prompt que moi à capter ce genre de choses, a relevé la tête de son jeu vidéo pour me dire « et ben dis donc, ça fout une claque ça quand même un peu… »

Une claque, c’est le mot je crois. Alors que cette femme disait qu’elle n’avait pas besoin d’aide, on lisait sur le visage de Sylvie Testud un ahurissement profond. L’espace d’un instant, cette femme du désert l’extirpait des protocoles occidentaux pour lui rappeler que oui, les femmes savent accoucher seules, et y arrivent, partout à travers le monde.

Nous l’avons pourtant oublié.

En Occident, force est de constater que l’accouchement aujourd’hui, dans la globalité de l’acte, a plutôt tendance à déposséder la femme de ce moment si particulier, à la faire douter de sa capacité à enfanter sans aide et, en allant plus loin, d’élever ses enfants sans conseils. La machine est seule voix de vérité, le médecin est seul détenteur du savoir. La femme elle attend, s’exécute, et subit sans pouvoir les refuser une batterie d’examens et de protocoles tous plus envahissants les uns que les autres. Même quand cela est fait avec toute la bonne volonté du monde, la femme est souvent niée dans son corps, parfois dans sa douleur, souvent dans son ressenti.

Lorsque j’ai accouché de ma fille, l’un des souvenirs les plus marquants qu’il me reste est l’engagement de ma fille dans mon bassin. Je l’ai sentie, très fortement, grâce à une péridurale extrêmement bien dosée qui m’a permis de tout gérer moi-même. J’ai appelé la sage-femme et lui ai demandé de re-contrôler mon col car je sentais que ma fille arrivait, et que les poussées dans mon bassin étaient très intense. La première réponse qu’elle me donna fut « mais non, c’est votre premier, vous en avez jusqu’à au moins 4h du matin! ». J’ai insisté, elle a finalement accepté…pour constater qu’elle pouvait toucher les cheveux de mon bébé. 15 minutes plus tard, ma fille était née.

A cet instant je me suis sentie niée. J’affirmais – à raison! – que ma fille arrivait, et tout ce que l’on me répondait, c’est que je me trompais. Que c’était mon premier, et que donc je ne savais pas. Chez certaines femmes, la péridurale est tellement forte que ce sont les sages-femmes qui doivent informer la mère qu’une contraction arrive. Quand c’est la mère elle-même qui l’a choisi, pourquoi pas. Mais quand ce n’est pas le cas? On supprime à la mère toute possibilité d’accoucher seule. On l’accouche, elle n’est que passive, et le corps médical fait tout. Comme si elle était incapable, ce qui de fait devient la réalité: la sur-médicalisation de l’acte lui ôte toute capacité à ressentir ce que lui dicte son corps, et les médecins prennent alors le relais pour faire à sa place ce qu’elle aurait pu – et dû – faire elle-même.

Qu’on ne se trompe pas de débat.

Il n’est pas question ici de remettre en cause l’accompagnement médical en tant que tel. Le progrès fait qu’aujourd’hui, les femmes peuvent donner la vie sans risquer de perdre la leur, et le reportage ne dit pas combien de femmes et de nouveaux-nés meurent en couche dans ces coins reculés du désert. La question, ce n’est pas tellement de savoir si donner naissance seule est dangereux, si on risque de mourir, si le bébé risque d’y mourir aussi. Mais simplement de souligner que dans notre culture moderne, la sur-médicalisation de l’accouchement nie la plupart du temps la capacité des femmes. On part du principe que sans l’équipe médicale, elle n’y arrivera pas. Que sans l’aide du médecin, elle n’y arrivera pas. Que si on ne lui dit pas quand pousser, elle n’y arrivera pas. Alors que ça devrait être l’inverse! On devrait partir du postulat que la femme sait ce qu’elle a à faire, et rester présent pour intervenir si besoin. Aujourd’hui, on intervient de toute façon, que la grossesse et le travail présentent des risques ou pas, au nom du principe de précaution.

La question n’est pas de dire que médicaliser l’accouchement et la grossesse est une mauvaise chose. Mais de dire que peut-être on pourrait médicaliser autrement.

Faire confiance aux femmes, à leurs ressentis profonds. Les laisser gérer elles-même ce moment là car c’est leur corps, et personne n’est mieux placé qu’elles pour savoir ce qu’elles ressentent.

Alors, tout le monde accouche à la maison?

Pas forcément, mais on pourrait, comme le font les maisons de naissance, recréer un univers apaisant même à l’hôpital, en faisant attention au volume sonore, à la lumière, au nombre de gens présents dans la pièce. Ecouter les besoins de la femme en premier lieu: que lui dit son instinct? A-t-elle besoin de musique, de calme, de présence, de lumière, de pénombre? Michel Odent, obstétricien français réputé et expatrié au Royaume Uni, évoque cela et affirme que les complications de l’accouchement aujourd’hui résultent bien plus de l’environnement sur-médicalisé qui nuit profondément au déroulement de la naissance, qu’à un quelconque problème physiologique de la mère. Il souligne que la femme est un mammifère, et que quand elle aurait besoin d’obscurité ou de pénombre, on lui donne des néons. Que quand elle aurait besoin de discrétion et d’apaisement, on lui donne trois, quatre, parfois cinq personnes criant « allez encore encore encore encore poussez encore encore encore ».

Il souligne que cet environnement crée des décharges d’adrénaline chez la mère, alors même que l’adrénaline est reconnue pour empêcher la production d’ocitocyne, hormone phare de l’accouchement. Alors, le travail se complique, dure, et pour le faciliter on injecte des hormones de synthèse censées booster l’événement. Ces même hormones empêchant la sécrétion naturelles d’autres hormones nécessaires à la naissance, et on rentre ainsi dans un cercle vicieux où le résultat est toujours le même: heureusement que l’équipe médicale était là, sinon comment cela ce serait-il terminé?

La solution ne serait-elle pas, certes d’offrir à la femme la sécurité qu’elle souhaite, l’assurance d’une intervention rapide et efficace en cas de problème, mais surtout d’arrêter la sur-enchère quand on constate que cette sur-enchère est trop souvent responsable, pour tout ou partie, des interventions médicales devenues la norme de l’accouchement occidental? Episiotomie, forceps, ventouse…et si une nouvelle approche de la naissance, avec une équipe prête à intervenir mais absente de la pièce, avec une femme respectée dans sa volonté, dans sa douleur, dans son ressenti, permettait de réduire drastiquement les complications devenues si habituelles dans nos sociétés modernes?

La Hollande comme modèle?

Aux Pays-Bas, un accouchement sur trois se déroule à la maison. Un sur trois! Et le taux de mortalité péri-natal est pourtant inférieur au taux français où l’accouchement en hôpital représente 97% des naissances. Quelles conclusions en tirer?

Dans l’imaginaire collectif, l’accouchement à la maison est fantasmé. C’est un truc un peu baba cool, on accouche dans sa baignoire ou sur son lit avec pour seule aide un linge et une bassine d’eau chaude. En France, parler d’accouchement à domicile revient à faire preuve d’inconscience, toujours au nom du principe de précaution.

Sauf que. L’accouchement à domicile est évidemment soumis à des règles (grossesse non pathologique, absence de risque foetal pendant la gestation, bonne présentation du bébé…). l’AAD est accompagné par des sage-femmes, reconnues, diplômées, et équipées en matériel.

Toujours en Hollande, lorsque la femme demande à accoucher en milieu hospitalier alors que rien ne l’impose médicalement, elle paye elle-même son accouchement.

Tout cela porte haut la réflexion que l’on peut encore mener sur la naissance en France. La sur-médicalisation est-elle vraiment une bonne chose? Dans quelle mesure est-elle responsable des incroyables difficultés que certaines femmes rencontrent pour accoucher, et des séances de travail qui durent à n’en plus finir? Aujourd’hui, deux tiers des primipares françaises subissent une épisiotomie. Est-ce vraiment nécessaire, ou bien est-ce, comme on le reconnaît de plus en plus, pour faciliter et accélérer le travail de l’équipe soignante? Et si c’est effectivement cette raison qui prime, peut-on vraiment accepter comme une norme que, pour améliorer le confort des médecins et la sécurité de l’accouchement, la femme doive être à ce point meurtrie dans sa chair, et découpée par convenance?

Pour aller plus loin, je vous invite à lire ce document de l’INPES: Accoucher à domicile, comparaison France/Pays-Bas (www.inpes.sante.fr/slh/articles/391/05.htm).

Bonne lecture :)

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