Châtiments corporels : une loi, pourquoi ?

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L’ actualité remet une nouvelle fois les violences éducatives sur le devant de la scène.

C’est cyclique, l’information s’en va, puis elle revient. Pendant quelques jours, statistiques et débats sur la fessée font la une des médias et puis l’intérêt se tasse et la question des violences éducatives retombe dans le silence assourdissant des deux enfants par jour qui meurent sous les coups. Plus tard, à l’occasion d’un fait divers morbide, on déplorera la maltraitance des enfants, et à nouveau le voile retombera sur leurs souffrances muettes.

Cette semaine est une semaine de mise en lumière

Suite au rapport accablant de l’association L’Enfant Bleu (www.enfantbleu.org/), qui expose qu’un Français sur 10 dit avoir été maltraité dans son enfance. Une proportion absolument énorme, qui se calque d’ailleurs parfaitement à la proportion de femmes violées en France : 1 femme sur 10 a été ou sera violée dans sa vie. Femmes et enfants sont concernés à même hauteur par des situations de violences de tous degrés, ce qui n’a rien de très étonnant si l’on considère le poids du patriarcat dans la culture Française. Fin de la parenthèse. Conjointement à la parution de ce rapport, le Conseil de l’Europe a décidé de sanctionner la France. Il estime « dans une décision qui doit être rendue publique mercredi 4 mars, que le droit français « ne prévoit pas d’interdiction suffisamment claire, contraignante et précise des châtiments corporels ». De ce fait, elle viole l’article 17 de la Charte européenne des droits sociaux dont elle est signataire, qui précise que les Etats parties doivent « protéger les enfants et les adolescents contre la négligence, la violence ou l’exploitation » » (Source LeMonde.fr) (www.lemonde.fr/societe/article/2015/03/02/la-france-condamnee-pour-ne-pas-avoir-interdit-gifles-et-fessees_4585986_3224.html#cSC7oMbzEdgjQfGP.99)

En France, que dit la loi ?

Si le code pénal réprime les violences faites aux enfants, elle laisse toutefois une zone de flou majeure : le droit de correction en famille. Cela consiste en…on ne sait pas trop, au final. Les châtiments corporels sur les enfants seraient autorisés dès lors qu’ils seraient « modérés ». La loi offre donc une porte d’entrée qui peut se traduire en « vous avez le droit de lever la main sur votre enfant » mais qui ne dit pas, en revanche, à partir de quand elle est censée redescendre, et c’est là que le bât blesse, en somme. Ce flou juridique autour du droit de correction fait qu’il n’y a aucune limite claire et précise sur ce qui est considéré comme un châtiment éducatif, et ce qui est considéré comme une violence faite à l’enfant. Ainsi, la première limite à laquelle on se confronte est celle de celui qui lève la main. Si monsieur X considère que la modération consiste en une fessée, Madame Y pourra considérer qu’y ajouter une douche froide est nécessaire quand le voisin Z verra l’association de la gifle et des deux autres procédés comme une sanction modérée adaptée.

La porte d’entrée est donc là. Dans les faits et même si elle a ratifié plusieurs textes affirmant le droit de l’enfant a être protégé de toute forme de violences et d’exploitation, la France autorise les parents, via cette disposition archaïque du droit de correction en famille, à lever la main sur les enfants. Ne reste plus qu’à prier pour que la main ne soit pas levée trop fort, ou bien que dans sa colère, le parent frappeur ne se laisse pas emporter vers une série de coups incontrôlés qui amène bien trop souvent à des situations graves, sinon à la mort, comme le rappelle donc ce chiffre horrifiant des deux décès quotidiens dont la majorité, malheureusement, ne concernent pas des enfants maltraités au quotidien mais bien des cas de violences éducatives qui ont dégénéré.

Pourquoi un tel refus de la loi ?

Beaucoup de Français, 89% si l’on en croit les derniers sondages, refusent catégoriquement le vote d’une loi. Ce matin sur France Inter dans la matinale de Bruno Duvic, je suis restée pantoise en entendant Mr Jean-Christophe Lagarde, qui n’est autre que le président de l’UDI, affirmer que l’on était « dans le ridicule » à vouloir légiférer sur la fessée. De son côté, la secrétaire d’Etat à la famille déclare qu’elle ne souhaite pas mettre les Français en situation de juger leurs parents. So what ? On épargne nos ancêtres d’un constat qui pourrait au pire leur faire de la peine, au mieux leur faire ouvrir les yeux, et on continue à laisser les enfants se faire taper sur les fesses (ou ailleurs), humilier et violenter juste pour ne pas avoir à se prononcer sur les méthodes précédentes ? Tout est parfait. Les enfants d’aujourd’hui et de demain salueront sans doute le courage de ces adultes, qui ont préféré se protéger d’une remise en question nécessaire, plutôt que de les protéger, eux petits enfants sans défense, des coups censés leur apprendre la vie.

Et si beaucoup de Français refusent cette loi, c’est d’abord comme on vient de l’évoquer, parce qu’elle oblige à remettre en question le modèle éducatif que nous avons reçu. Accepter qu’il ait pu nous faire du mal alors même que nos parents étaient persuadés qu’en l’appliquant ils détenaient une réponse correcte à une situation donnée. Mais c’est aussi et surtout car, bien que nécessaire, elle est tout à fait prématurée. En cela je rejoins ma consoeur blogueuse S’éveiller et s’épanouir de manière raisonnée (www.seveilleretsepanouirdemaniereraisonnee.com/2015/03/au-lieu-de-s-epuiser-dans-un-debat-sterile-cheminons-vers-une-education-bienveillante-et-respectueuse-de-l-enfant.html) qui, dans son billet d’hier, parle de la nécessité d’engager, avant un acte législatif, une démarche massive d’information et de prévention englobant causes et conséquences des violences éducatives ordinaires. Ensuite, seulement, nous pourrons envisager un processus législatif qui englobera toutes les dispositions nécessaires à une mise en application des nouveaux outils permettant aux parents d’élever leurs enfants sans violences.

Une loi pédagogique

Car c’est bien de la peur du gendarme que l’on parle sans cesse lors des discussions actuelles sur l’interdiction des châtiments corporels. Le parent qui donne une claque à son enfant, qu’en fait-on ? On le met en prison ? Il est tentant, pour la réfuter, de ne présenter une loi contre les châtiments corporels que comme un outil répressif qui enverra à la DDASS tous les enfants du pays, ou presque, si l’on en croit l’usage de la fessée dans 84% des foyers aujourd’hui. L’argument majeur des anti revient à dire que ce n’est pas une loi qui fera changer les mentalités, que légiférer ne sert à rien. Et pourtant, c’est bel et bien sur un plan pédagogique que cette loi est nécessaire.

A l’époque de la loi Evin, plusieurs dispositifs préalables avaient fait mûrir les esprits quand à la nocivité du tabagisme, à son impact sur la santé publique et à son coût global pour la société. Recherches et études à l’appui, la société a été confrontée à un message de plus plus en fréquent, jusqu’à ce que la loi Evin marque l’interdit qui en découlait inévitablement : il est désormais interdit de fumer dans les lieux publics. A partir du 10 janvier 1991, l’Etat a jugé qu’il était maintenant nécessaire que chacun ait conscience que son acte était dangereux et qu’en cela, il en devenait interdit dans les lieux publics car il nuisait à autrui.

Nous sommes tout à fait dans ce schéma avec la loi sur les châtiments corporels. Depuis 10 ans, recherches et études se multiplient, les neurosciences démontrent les méfaits des violences éducatives et ces découvertes se démocratisent, lentement mais sûrement. Le débat revient de plus en plus souvent en place publique, et nous avons aujourd’hui des connaissances concrètes sur la nocivité des violences éducatives, leur impact sur la santé publique et leur coût global pour la société. Il est maintenant temps de diffuser ces informations à large échelle et d’informer les parents que d’autres solutions sont possibles. Nous sommes à une époque charnière où il devient nécessaire de penser les outils d’accès à l’éducation non violente comme des structures d’utilité publique. Pour, dans quelques années, pouvoir ensuite légiférer car la société aura entamé un début de compréhension des nouveaux enjeux.

A l’instar de la loi Evin, une loi sur les châtiments corporels a une dimension d’abord pédagogique, visant à marquer l’interdit : taper son enfant, même sur la main, même sur la couche, même doucement, est nocif pour lui et pour son développement, alors c’est interdit. Et aux parents qui ne parviennent pas à transformer leur outil initial, les structures nationales devront mettre à disposition des solutions leur permettant de respecter cette loi : cycles d’accompagnement à la parentalité, reconnaissance pleine et entière (ce qui implique leur suivi et leur prise en charge) des cas d’épuisement parental, généralisation de l’information sur les violences éducatives dans le cadre de la politique familiale. Il n’est nullement question d’envoyer croupir en prison celui ou celle qui un jour, rattrapé par sa fatigue, son schéma, sa solitude ou son quotidien difficile punira son enfant par une fessée. Il est question de dire qu’il ne sera plus possible d’affirmer :

  • qu’une fessée est méritée
  • qu’elle ne fait pas de mal
  • que ce n’est pas de la violence

C’est en reconnaissant le caractère nocif et violent de ces actes encore aujourd’hui considérés comme anodins, que l’on placera la première pierre d’un édifice visant à créer une nouvelle parentalité et ainsi, une nouvelle enfance.

Et la violence psychologique ?

Les débats se cristallisent autour de la fessée. Nul doute que pour moi, ce concept englobe l’ensemble des violences éducatives, comme un symbole de l’atteinte au corps et à la tête de l’enfant. La lutte contre les violences éducatives ordinaires doit se faire sur les deux plans de façon conjointe.

Fort heureusement, la recherche avance et nous fournit, petit à petit , toutes les clés. Aujourd’hui, on sait de plus en plus précisément les conséquences à court, moyen et long termes des violences éducatives, mêmes celles que l’on considère comme les plus « douces ». On ne peut donc plus continuer dans la même direction sans se rendre coupable d’un déni dont on devra, un jour, se justifier devant les premiers concernés.

Le travail législatif sur les châtiments corporels ne peut être que l’ aboutissement d’une série d’initiatives, engagées dans un processus global d’information, d’éducation et de prévention auprès des parents et des adultes en général, mais aussi après des enfants qui doivent savoir que la violence sur leur corps ou leur esprit n’est pas une norme mais une dérive, née d’une impuissance de l’adulte à comprendre son interlocuteur.

Ces initiatives n’en sont qu’aux balbutiements.

Nous pouvons tous et toutes contribuer à changer l’avenir de l’enfance.

Edit : suite à un commentaire demandant les références des travaux sur les conséquences des violences éducatives ordinaires, je rappelle l’existence de l’Observatoire de la Violence Educative Ordinaire, dont le site vous fournira une bonne partie des données disponibles à ce jour : http://www.oveo.org (www.oveo.org/).

Repenser sa position sur la fessée ou changer ses méthodes éducatives est un chemin qui peut être compliqué, et qui n’est pas inné pour la plupart d’entre nous. Vous trouverez de l’aide, des pistes de réflexion, et des idées de mise en oeuvre dans la section « le coin lecture » de ce blog, rubrique Parentalité positive / Education non-violente : https://www.working-mama.fr/le-coin-lecture.

Image : http://www.doctissimo.fr/html/psychologie/psycho_pour_tous/enfant_bebe/ps_2936_fessee_enfant.htm

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