Poser une limite sans dire non, le rêve n’est-ce pas?
La majorité des gens vous diront que c’est impossible. Mais en fait, ça existe! Par contre ce n’est pas forcément facile…car cela demande une sacrée gymnastique cérébrale au début, et même encore après quand le concept est pourtant bien assimilé et utilisé au quotidien. Les vieilles habitudes ont la vie dure! Et il reste assez fréquent de se louper sur le moment mais on se rend compte alors, en reformulant de suite en « consigne positive », qu’effectivement c’est souvent une excellente clé pour interagir avec l’enfant, surtout chez les petits et que cela peut transformer leur attitude : alors qu’à la première consigne ou demande on avait essuyé au mieux une indifférence totale, au pire un non cuisant, la même idée formulée autrement devient soudain efficace et l’enfant coopère (j’évite volontairement le terme d’obéissance que je refuse et déteste, et dont on reparlera dans un billet dédié). Je retiens, pour illustrer cette astuce de communication, une image qu’Isabelle Filliozat utilise dans son livre « J’ai tout essayé » (je cite de mémoire) : parfois, on s’évertue à pousser la porte pour l’ouvrir, quand il fallait finalement la tirer pour tout débloquer. Mais précisons d’abord.
La consigne négative, c’est quoi?
C’est le fait de dire « NE fais PAS ceci/cela ». Et là vous faites une tête genre -> oÔ et vous vous demandez si j’ai bu, ou fumé un truc. Pas du tout je vous jure. Effectivement c’est une tournure qu’on emploie 12 000 fois par jour, alors qu’est-ce que je viens vous chanter là? Ne pas utiliser cette formulation? Donc on se tait alors? Non bien sûr Mais on évite ce « NE PAS » que le cerveau (de l’enfant comme de l’adulte) a du mal à traiter, et on tente une autre approche de la question.
Toujours chez Isabelle Filliozat, un exemple très concret :
Que nous dit cette image?
Lorsque l’on demande à quelqu’un de « ne pas » faire quelque chose, on lui demande d’abord de visualiser l’action à ne pas faire, puis d’opérer un mécanisme d’annulation dans son cerveau et enfin d’adopter le comportement contraire à l’action qu’on lui a initialement mise en tête. Pour un adulte dont le cerveau est habitué à cette gymnastique régulière et dont la vie quotidienne implique qu’il sait gérer ses pulsions et ses images mentales, ce n’est pas trop compliqué. Mais pour un enfant de 12, 18, 24 mois, ou même 3 ou 4 ans, ça peut être un vrai sac de noeuds impossible à dénouer. On prendra pour de la provocation l’enfant qui touche le placard en souriant alors que l’on vient juste de lui dire de « ne pas » le faire. En fait, nous lui avons nous-même demandé de toucher ce placard (s’il n’avait pas commencé) ou de recommencer (s’il venait de le faire) en lui (ré)imprimant l’image de l’action en tête. L’enfant touche alors le placard non pas par provocation, mais par incapacité à retourner l’image mentale impliquée par la consigne initiale.
Voilà le concept de base de la consigne « négative ». Elle complique beaucoup les choses et nous allons donc essayer de voir comment faire pour la contourner et obtenir le même résultat que celui escompté, mais en formulant la consigne de façon positive, autrement dit sans utiliser le « ne pas ».
La question ayant été abordée sur la page facebook du blog et une lectrice ayant proposé une mise en commun de nos solutions pour formuler positivement nos consignes, vous avez été nombreux à m’envoyer vos tournures en fonction des situations de votre quotidien. Je ne peux pas toutes les relayer ici, mais en voici une petite compilation afin d’illustrer le concept et vous aider à trouver vos propres formulations en fonction de vos problématiques quotidiennes :
- « Ne mets pas tes mains dans l’assiette » devient « à table, on mange avec des couverts/la fourchette/la cuillère »
- « Ne joue pas dans la poubelle » devient « la poubelle est l’endroit où l’on met les déchets, on la referme aussitôt » ou « je jette, je ferme »
- « Ne traverse pas » devient « reste sur les graviers devant l’école », « reste de ce côté de la route », « tu peux me lâcher la main lorsqu’on est sur le trottoir, pour traverser tu m’attends »
- « Ne touche pas » devient « cet objet reste posé/tout seul/loin de tes mains »
- « Ne marche pas dans la terre » (la lectrice ayant envoyé cette tournure effectue des travaux dans sa maison), devient « les pieds restent sur la terrasse »
- « Ne vide pas les boîtes (du placard) » devient « les boîtes restent rangées dans le placard »
- « Ne court pas autour de la piscine » devient « à la piscine on marche «
- « Ne mets pas d’eau partout » devient « L’eau reste dans la baignoire »
- « Ne prends pas cet objet » devient « L’objet reste posé sur la table/etagère/ etc »
- « Ne tape pas » devient « Avec la main on caresse »
- « Ne cours pas » devient « Marche »
- « Ne monte pas sur la fontaine » devient « les pieds restent par terre »
(mes excuses à ceux et celles qui cherchent leur tournure exacte et ne la trouvent pas, j’ai reçu beaucoup de messages et certains se recoupaient souvent!)
Avec Lou la consigne positive « on marche » est vraiment très efficace. Elle veut toujours m’aider à vider le lave-vaisselle, et je la laisse le faire même avec les objets qui cassent. Un jour, trop contente de vider la machine, elle a couru entre le lave-vaisselle et le meuble avec deux verres dans les mains, elle a trébuché et les a cassés. Je lui ai d’abord dit que ce n’était pas grave, qu’elle était impatiente de m’aider et que ça arrivait de casser. J’ai fini l’échange en lui disant « quand tu vides le lave-vaisselle, tu marches doucement, comme ça tout reste bien dans les mains ». Depuis, quand elle sort un élément, elle appuie bien le mouvement de ses pas en disant « je marche! ». Je lui redis de temps en temps quand elle oublie et se remet à accélérer, et elle ralentit de suite.
Un petit outil pratique à utiliser au quotidien
A la maison et grâce aux diverses lectures que nous avions engagé sur la question des limites dès ma grossesse, nous avons essayé de démarrer ce fonctionnement le plus tôt possible. Au début ce n’était pas du tout évident…difficile de passer au dessus de 30 ans de « Ne pas »! Aujourd’hui encore, il y a régulièrement des ratés, des réflexes de négation qui reviennent, et on ne peut pas non plus passer sa journée à garder son cerveau en ultra-vigilence. Dire « Ne pas », ce n’est pas un drame…c’est juste qu’on s’en rend compte immédiatement ensuite quand on est habitués de cette gymnastique quotidienne car on constate aisément la différence de comportement de l’enfant face à ce que l’on peut lui demander d’effectuer comme action. D’une façon générale, formuler en consigne positive permet de minimiser largement l’énervement et les cris car il devient moins nécessaire de répéter, et on a beaucoup moins tendance à se dire que l’enfant est dans la provocation à faire exactement ce que l’on vient de lui refuser. Moins de stress, plus de zen, et les journées peuvent paraître nettement moins fatiguantes…
Ici donc, pour s’habituer à ce fonctionnement, nous avons utilisé au début un petit tableau de soutien pour mémoriser les tournures positives qui débloquaient les situations. Vous pouvez réaliser très simplement : deux colonnes et c’est tout! A gauche, la tournure négative. A droite, l’équivalent positif qui vous convient (à vous et à votre enfant). Lorsque vous vous surprenez à donner une consigne en « Ne pas », vous la notez dans la colonne de gauche et vous réfléchissez à une équivalence positive. Quand la clé positive fonctionne, hop, vous la notez à droite. Vous laissez le tableau en évidence quelque part pour pouvoir le compléter facilement au quotidien, et petit à petit le mécanisme devrait s’inscrire comme un nouveau réflexe. Pas infaillible comme dit plus haut, mais plus on pratique, plus on y arrive, promis!
Ce n’est pas non plus un remède miracle
Evidemment, il ne suffit pas toujours de formuler en consigne positive pour que ça fonctionne, ce n’est pas une baguette magique qui transforme le bambin en petit être docile et acceptant tout ce qu’on lui demande et heureusement! il faudra parfois négocier au delà de la consigne, ou chercher plusieurs tournures jusqu’à trouver celle qui débloque la scène. Mais c’est le concept de base qu’il faut apprendre à maîtriser, pour ensuite en faire un outil de communication au quotidien. A adapter en fonction de vos enfants, de vos problématiques quotidiennes et de vos préoccupations.
N’hésitez pas à partager avec nous vos tournures positives en commentaires, pour enrichir la liste d’exemples proposée dans le billet!