Il n’y aura pas de prochaine fois

Cette ChouChou > WM en vrac

Mercredi 2 octobre, il est 11h30.

Nous patientons dans la salle d’attente d’un médecin-homéopathe. Personne n’est malade, nous venons juste parler du parcours vaccinal pour Lou, faire le point sur mes questionnements. Elle a juste le nez qui coule, poussée dentaire latente, les 4 canines qui sortent et qui malmènent un peu sa zone ORL. Rien de bien méchant.

11h45 nous entrons, le médecin est très accueillant, il m’avait fait très bonne impression la première – et seule fois – où je l’avais vu. J’étais seule ce jour là. Il se présente, demande à Lou si elle veut lui faire un bisou, Lou accepte, l’embrasse sur la joue. Elle s’amuse avec la grosse calculatrice posée sur le bureau pendant que l’entretien démarre, et comme c’est la première fois qu’il la rencontre il me dit qu’il va l’examiner rapidement, pour faire connaissance avec son organisme, sa tonicité…bon. En général les visites chez le médecin ne sont pas un problème, j’acquiesce un « oui, rapidement ok » et dit à Lou que le docteur va écouter son petit bidon. A ce moment là, elle est dans mes bras, nous sommes assises sur le divan fort confortable du cabinet, pas de soucis à l’horizon.

Entre temps le médecin s’est levé, et à peine ai-je fini ma phrase qu’il attrappe Lou sous les bras, sans prévenir, en disant « Allez tu laisses Maman, maintenant, on y va! ». Moi-même très surprise, je vois les yeux de Lou s’arrondir et son expression se figer. Il l’a attrappée, dans le dos, sans prévenir, pour l’enlever de mes bras, alors qu’il la connait depuis 5 minutes et qu’elle est dans un endroit qu’elle ne connait pas. Elle bat des jambes et dit « Nan ye pas! Nan ye pas! Maman! Ye pas! » (non je veux pas, non je veux pas, maman, je veux pas!) et essaye de tourner la tête pour voir qui l’emmène.

« Ca va ça va, allez hop », et toujours sans rien lui dire il se penche pour l’allonger sur la table d’examen, qu’elle n’avait pas encore vue. Et Lou qui s’agrippe à son cou « Non ja peur! J’a peur! » Et il insiste et décroche assez brusquement ses bras pour poser Lou sur la table. Lou qui se met à pleurer très fort. « Maman, maman! Maman! J’a peur! Ye pas! » Il s’est passé 2 minutes depuis qu’il me l’a enlevée des bras, et enfin je réagis. « Docteur elle vous dit qu’elle a peur, je vais rester à côté d’elle ce sera mieux pour tout le monde ».

« Ah non pas pour moi! »

« Oui mais elle a peur. J’aimerais que le petit examen rapide ne se transforme pas en calvaire qui l’empêchera de vous revoir sans hurler. Elle n’est pas malade, inutile de la forcer »

« Oui, mais j’aimerais la voir en situation normale, pas avec maman à côté, c’est pour cela que je voudrais que vous restiez sur le canapé pendant que je l’examine ».

En situation normale.

Je suis abasourdie par cette expression. Il n’y a rien de normal dans cette situation: quelqu’un qu’elle ne connait pas la manipule, lui écarte les yeux, la déshabille, veut prendre son pouls, lui enfonce un baton de bois dans la bouche avec de la lumière en pleine face, tout ça sans la prévenir, sans lui expliquer ce qu’il va se passer. Je lis sur ma petite cette panique de ne pas savoir ce qu’on lui fait: elle cherche par tous les moyens à voir dans son dos ce que c’est que cette chose froide qu’on pose et qu’on déplace, en continuant à pleurer « j’a peur! j’a peur!’.

Il n’y a rien de normal dans cette situation, non. Normalement, Lou est une enfant que l’on prévient quand on va la toucher, et à qui l’on explique ce qu’on va lui faire. C’est une enfant dont le corps est respecté et manipulé avec précautions, tout comme n’importe quelle personne souhaiterait qu’on la manipule, quand bien même l’examen serait indispensable il n’en reste pas moins une intrusion et se doit de respecter le patient. C’est une enfant dont les ressentis dans ces situations sont écoutés pour qu’elle ne soit pas bafouée et soumise mais bien consentante et en sécurité face à l’acte médical.

« Il faut qu’elle apprenne à se laisser faire ».

Abasourdie encore. Il faut qu’elle apprenne à se laisser faire…Qu’elle apprenne que tout le monde peut faire n’importe quoi sur elle, sans la prévenir et sans son consentement? Que parce qu’elle est petite elle n’a pas son mot à dire sur ce qui est intrusif et ce qui ne l’est pas? Et à 8 ans, quand un monsieur voudra lui toucher les cheveux et qu’on lui aura bien appris que face à l’adulte il faut se laisser faire, que lui dira-t-on? Et à 14 ans, quand un autre monsieur voudra regarder sous sa jupe et qu’ on lui aura bien appris que face à l’adulte il faut se laisser faire, que lui dira-t-on? Vous trouvez que j’exagère? Moi pas. Sans cesse nous plaçons les enfants face à ces contradictions:

« Va dire bonjour! Allez fais un bisou! Va dire bonjour à la dame »
Et plus tard: « Ne parle jamais à des inconnus ».
« Laisse toi faire »
Et plus tard: « Apprends à te défendre, ton corps t’appartient »

Lou pleure toujours.

Fort, je la rassure comme je peux en lui disant que c’est bientôt fini, qu’on regarde encore juste les oreilles et qu’ensuite on remet les habits. Elle se calme un peu et au moment où peut-être elle allait accepter de finir l’examen, le docteur lui dit « ah ben voilà, tu vois le cinéma! Allez, maman retourne sur le canapé ».

Ce fut terminé. Ma fille se remit à hurler de panique. J’ai interrompu l’examen, l’ai rhabillée. Ravalant ma colère comme je pouvais. Pendant qu’il rédigeait une ordonnance pour un traitement homéo destiné à calmer son petit rhume, il parlait à Lou:

« Tu vois, la prochaine fois maman elle restera sur le canapé et on fera l’examen tous les deux »
« Non ye pas »
« Si si tu verras la prochaine fois on fera comme ça. Tu viens me faire un bisou? »
« Non ye pas »
« Bon tant pis, du coup je vais faire un bisou à maman parce qu’elle est très jolie »

J’entends ça comme une blague. Je paye. On se lève, et effectivement il s’approche, me prend par le cou et me fait une bise bien appuyée. Il sent le parfum bon marché, je réprime un haut le coeur. Sans doute aurait-il fallu que j’apprenne moi aussi à me laisser faire…

Il essaye de toucher Lou qui le repousse, il n’insiste pas et lui dit juste, « allez, à la prochaine fois ».

Sauf que comment vous dire, docteur.

Il n’y aura pas de prochaine fois.

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