Du mauvais côté de la barrière

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On a un peu trop parlé cuisine récemment.

Alors avant de te donner la recette de mes liégeois passion (je te jure, dans les jours qui viennent, je te la donne) on va reprendre un peu de sérieux, juste le temps d’un billet.

J’ai vécu ce sentiment trois fois cette semaine, je ne peux pas compter exactement combien de fois la semaine précédente, et encore la semaine précédente, et tous ces mois écoulés. Ce soir sur la page facebook de La Maman du P’tit Pois (www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=795709023788763&id=209481219078216) les commentaires me motivent à écrire. Car j’ai pris la bonne résolution de ne plus intervenir en ce qui concerne l’éducation non-violente, la fessée, l’allaitement long, le maternage proximal et tous ces trucs de bobo laxiste ailleurs que sur mes espaces, afin de préserver mon temps, mon énergie et surtout ma santé mentale. Bref.

Hier, je vais acheter le pain avec ma fille. Tranquilles, on se balade dans la rue piétonne. Il y a un magasin de tissu, celui où je vais toujours acheter mes coupons quand j’en ai besoin. Devant la porte il y a une sorte de bac en ferraille où la vendeuse dépose toujours des coupons de fin de série, des chutes, des tissus bradés…tout est en vrac, l’idée c’est d’y plonger les mains, toucher, remuer, chercher la perle à petit prix.

Hier, en passant devant la boutique, c’était un enfant qui remuait ses mains dans la panière, qui touchait les tissus. « Ho il est doux celui-là », venait-il de dire à sa petite soeur. « Bon tu viens on y va ». C’était son père, pas loin derrière, ou plutôt devant, apparemment pas très enchanté à l’idée d’attendre que son fils ait fini son opération. Visiblement captivé par son exploration le petit, je dirais 6 ou 7 ans, n’a pas obtempéré sur l’instant. Deuxième fois. « Hé, on y va! ». « Oui attends je… » Le petit ne finira pas sa phrase. Le père saisit l’oreille vite fait bien fait et tire l’enfant vers lui. « Je t’ai dit qu’on y allait! ».

Il y a une dizaine de personnes dans un rayon de 5 mètres. L’enfant pleure très fort. « Aie tu m’as fait mal! » – « Tu n’as qu’à obéir ».

Il y a une dizaine de personnes dans un rayon de 5 mètres, et pas une n’a bougé. Si cet homme avait frappé un chien, il y aurait eu des réflexions. Si cet homme avait giflé sa femme, certains se seraient interposés. Si cet homme avait agressé verbalement une vieille dame, d’autres auraient encore réagi. Cet homme a violenté son enfant, et personne n’a rien dit.

Même pas moi. Moi qui suis pourtant tellement engagée contre tout ça. Ce n’est pas la première fois que je me fais cette remarque. Combien de fois ai-je été témoin d’une scène de violence sur un enfant en pleine rue, qu’elle soit verbale ou physique, et face à laquelle j’ai réprimé tous les réflexes de défense de l’enfant que mon corps m’intimait d’adopter, pour ne finalement que presser le pas, détourner le regard, essayer d’oublier au prochain virage…Je me rappelle cette maman dans l’allée de Monoprix, qui avait attaché le blouson de son enfant d’un an à la poussette afin qu’il marche parce que dans la poussette il s’endormait et que si il dormait alors elle ne pourrait pas passer sa soirée ce soir (c’est ce qu’elle disait au petit alors même qu’il pleurait). Je revois ce bébé, parce que ce n’était qu’un bébé, croisé trois fois les minutes précédentes dans les autres allées en train de piquer du nez, finalement obligé de suivre la cadence d’une poussette trop rapide pour lui en pleurant, tombant deux fois de suite, sa mère se décidant finalement à le porter tout en lui disant sur un ton très dur qu’il n’avait qu’à faire la sieste l’après-midi avant les courses.

Et moi qui était restée là, muette, impuissante…je n’ai rien dit, rien fait. Cette fois-là, comme hier encore, et malgré tout ce en quoi je crois, tout ce pour quoi je me bats chaque jour, je me suis tue. Comme les autres. Comme tous les autres. Parce qu’on n’a pas le droit de s’interposer entre un parent et son enfant, c’est comme ça. Le droit de correction en famille, ça s’appelle. Alors au lieu de défendre la victime, le petit être faible à qui l’on vient de faire mal, de manquer de respect, de mal parler, ou de faire vivre une violence quelconque, on se tait, on se fait tout petit, on presse le pas et on regarde ailleurs.

Au lieu de défendre les victimes, nous excusons les adultes, et on se rassure en disant que l’enfant était allé trop loin. C’est vrai, il y a toujours une bonne raison. Pourtant à quelqu’un qui frappera un chien, on pourra éventuellement chercher à comprendre pourquoi il n’a pas réussi à faire autrement, mais on ne l’excusera pas. A quelqu’un qui frappera sa femme, on pourra éventuellement chercher à comprendre ce qui ne va pas chez lui, mais on ne l’excusera pas et on proclamera qu’il n’y aucune raison valable de frapper sa femme.

A quelqu’un qui frappera son enfant, on sera prié de toujours accorder une compréhension maximale tellement c’est dur d’être parent, et surtout on sera prié de reconnaître que l’enfant le méritait, qu’il avait dépassé les limites, et que c’était pour son bien. Et à cela, personne ne sera autorisé à opposer la moindre objection car chacun éduque ses enfants comme il l’entend, chacun ses choix.

Dommage pour les enfants qui eux, victimes de nos choix, sont quand même sous la main qui tape, et à qui on apprend en plus que s’ils sont tapés, c’est de leur faute. Pas de la faute de la fatigue, du stress ou de la journée difficile, non, de leur faute. « Tu n’avais qu’à obéir ». Comment se fait-il que l’on entende jamais « Tu n’as pas fait ce que j’attendais et du coup J’ai perdu mes moyens car JE ne sais pas comment faire autrement, il faut que JE trouve quelqu’un qui m’apprenne à faire ça pour ne plus avoir le réflexe de te taper quand ce que tu fais me déplait. EXCUSE MOI ».

Nous avons un énorme problème. Face à la violence éducative ordinaire et parce qu’elle est le schéma éducatif de la quasi totalité de la population qui est élevée avec la fessée, les punitions, les tapes sur la main, et toutes ces « petites violences qui ne sont pas de la maltraitance » mais qui ramenées au quotidien reviennent à habituer l’enfant à vivre avec une composante violente régulière sur son corps et son esprit, nous adultes avons intégré que les parents ont le droit de faire ça, et qu’on n’a pas à s’interposer. C’est, je crois, le seul cas que je connaisse où je peux voir quelqu’un se faire agresser mais où mon cerveau me dit « STOP, n’y va pas, la personne est dans son droit ». Alors que je milite moi-même pour faire reconnaître que ce n’en est pas un, je trouve ça démentiel. Mais pour le moment je n’y arrive pas. Cette consigne intérieure m’envahit et je reste muette.

Nous réagissons tous ainsi, et pourtant tous ou presque ressentons un malaise lorsque l’on voit un enfant subir cela dans la rue, il suffit de regarder le visage des passants. Personne n’est à l’aise avec ça, au final, dès lors que l’acte sort du secret du foyer. Mais personne n’osera jamais dire quoi que ce soit, du moins pas avant un certain degré de violence. Il faudra plusieurs tapes et un certain acharnement du parent sur l’enfant pour que les passants réagissent et s’interposent.

La société a intégré que frapper un animal est interdit, que frapper une femme est interdit, que frapper une vieille personne est interdit. Elle n’a pas encore intégré que les enfants ne devraient pas être exclus de cette protection commune alors même qu’ils sont les êtres les plus faibles, les plus vulnérables, les plus fragiles.

Nous continuons à défendre l’agresseur alors même que l’agressé est sous nos yeux.

Nous sommes tous et toutes du mauvais côté de la barrière.

En avez-vous conscience?

trois-singesImage prise ici (lavoiedelasagesse.wordpress.com/2011/11/27/les-trois-singes-de-la-sagesse/)

 

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