Souviens-toi, petite Lou

Cette ChouChou

Image prise ici (www.ville-tavaux.fr/pages.php?idMenu=19&idSsMenu=5&idPage=104)

Je ne m’attendais pas à cela.

Aujourd’hui, j’ai emmené ma Loupiote chez l’ostéopathe. C’était une première autant pour elle que pour moi. Dans ma tête, l’ostéopathe n’était jamais qu’un genre de kiné et j’y conduisais ma fille aujourd’hui pour voir si il était possible de lui faire passer ce vilain hoquet qu’elle a sans cesse. C’était tout.

Au lieu de cela, nous avons remonté le temps. L’osteo, une jeune femme, me demande d’abord comment s’est passé mon accouchement. Je lui explique que j’ai été déclenchée. Dans mes bras, Lou commence à s’agiter et je vois la jeune femme lui jeter quelques coups d’oeils. Avant d’entrer dans les détails, je précise que le déclenchement a été très compliqué mais que l’accouchement ensuite fut simple et rapide. Dans mes bras, Lou s’est mise à pleurer et à se raidir, elle est très tendue. L’osteo m’interrompt, regarde Lou et me dit: “C’est elle qui va nous raconter la suite, elle réagit très fort quand vous en parlez”.

A cet instant je me suis demandée si je n’étais pas tombée chez la seule ostéo ésotérique du coin. Comment un bébé de 6 semaines pouvait raconter le jour de sa naissance? J’ai allongé Lou sur le Bibed du cabinet, je l’ai mise en body. L’ostéo m’a invitée à m’installer à côté de la table de travail sur une chaise puis a commencé à entrer en communication avec ma fille. D’abord par des gestes très amples autour d’elle, pour accrocher son regard. Puis de plus en plus près jusqu’à poser la main sur son ventre. Elle s’est présentée, lui a dit ce qu’elles allaient faire ensemble. Qu’elle allait l’aider à évacuer toutes les tensions de sa naissance. J’avais déjà le coeur au bord des lèvres. Car si Lou s’apprêtait à revenir en ce 13 mars, j’y retournais moi aussi. La douleur. Le faux travail qui n’en finissait pas, pendant des heures. La peur, les cris, les larmes, l’épuisement. Et cette douleur, encore et toujours, interminable.

Lou était très calme. L’osteo la manipulait un peu, tantôt décoinçant son pouce un peu trop rentré, tantôt libérant sa jambe gauche d’une tension latente. Puis elle l’a enroulée sur elle même, dans la position qu’elle avait juste avant la naissance, et c’est là que tout a commencé, avec des petits grognements d’inconfort. L’osteo, tout en palpant très légèrement le corps de mon bébé, se mit à poser contre elle divers petits flacons pendant quelques secondes. Les deux premiers n’eurent aucun effet. Au 3ème, Lou se mit à pleurer, d’une façon encore tout à fait inconnue à mes oreilles. J’entendais la peur dans ses cris, une peur intense. De la panique mêlée à de l’incompréhension, c’était très étrange. Elle s’agitait en tous sens, sa bouche cherchait le sein frénétiquement. L’osteo m’a regardée pour me rassurer, je n’ai rien dit, j’avais confiance…Elle a reposé le flacon, les pleurs se sont apaisés. Le 4ème fut sans effet lui aussi, mais le 5ème fit repartir les pleurs de plus belle. Le 6ème amplifia le phénomène jusqu’à mener ma fille à la colère. Des pleurs stridents, tout son corps raidit par l’effort.

L’osteo reposa les flacons sur la table et j’y jetais un oeil rapide. Sur le 3ème, on pouvait lire “Ocytocine”. Sur le 5ème, “Morphine”. Sur le 6ème, “Peridurale SN”. Pendant toute la durée de l’opération, la jeune femme avait parlé à Lou tout doucement. Alors qu’elle posait le flacon d’ocytocine et que ma fille se mettait à pleurer, elle lui avait dit “Oui, tu as été prise de court, tu n’avais pas envisagé les choses comme ça”. Sur ma chaise, j’avais du mal à contenir mes larmes…non, c’est vrai, on n’avait pas envisagé les choses comme ça. Tout avait si bien commencé…et puis la cholestase, l’angoisse de la perdre pour toujours, les traitements, le déclenchement. Non, personne n’avait envisagé les choses comme ça.

L’osteo continue ses manipulations et repasse Lou en position allongée. Elle se met à comprimer certaines parties de son corps. Elle m’expliquera en fin de séance qu’à cet instant, elle simulait les contractions agissant sur le corps de Lou à l’intérieur du ventre. Pour la seconde fois, des hurlements. Ma fille était entrée à l’instant dans une colère intense. Ses jambes, complètement raidies et dures comme du bois, poussaient dans le vide à intervalle régulier. L’osteo recentre progressivement l’une de ses mains vers le front de mon bébé, et continue de l’autre à comprimer les zones clés de son corps. Et Lou hurle encore. Elle est dans une colère terrible, enchaîne les spasmes, devient plus rouge que jamais et cet air d’incompréhension dans ses pleurs se fait sentir à nouveau. Quelques instants plus tard, l’osteo lui dit qu’elle a bien travaillé, que ça va aller mieux maintenant qu’elle a “pleuré ses souvenirs” et que toutes les tensions de l’accouchement ont été évacuées. Ma petite s’endort d’un coup, l’ostéo reprend les manipulations et Lou ne se réveillera plus jusqu’à la maison.

J’ai regardé la scène d’un air hagard, sans prononcer un mot. Pas une minute je n’ai eu peur pour elle, car j’ai vu tout de suite qu’elle déchargeait quelque chose resté sans doute enfermé là, en elle, depuis le premier jour. C’était tellement impressionnant. Une fois Lou endormie, l’osteo a traduit tout ce que je venais de voir: “Votre déclenchement n’a pas fonctionné immédiatement. Vous êtes restée de longues heures en faux travail, vous avez beaucoup crié et pleuré, la douleur a été extrêmement violente. Vous avez pris de la morphine. C’est l’injection de la péridurale qui a mis fin au calvaire et Lou est arrivée.” Je l’écoutais, un peu absourdie. Je n’étais pas entrée dans les détails, le déroulement de mon déclenchement n’était consigné nulle part dans les documents qu’elle avait eu en main en début de séance. Elle continua en m’expliquant que toutes les inflexions de voix entendues depuis une heure dans les pleurs de ma fille nous racontaient comment elle avait vécu l’accouchement. D’abord la peur et l’incompréhension, avec cette décharge d’hormones qui d’une minute à l’autre tentait de la mettre à la porte de son cocon alors qu’elle n’était pas prête à en sortir. Puis les poussées sur ses jambes pour sortir, le crâne qui appuie et qui tente d’ouvrir la voie puisqu’on l’obligeait à le faire, mais ce col qui ne s’ouvrait pas et ce petit bébé qui butait sans cesse contre la porte restant désespérément fermée. Incompréhension laissant place à la colère. Puis, enfin, la péridurale. Le début du vrai travail, la descente, la sortie. Et enfin, Maman. L’apaisement.

De cette journée entière de faux travail où ma fille a buté, encore et encore, sur le col fermé refusant de bouger découlent tous les petits soucis qu’elle manifestait: à force de cogner le haut du crâne sur le col de l’utérus, une contracture s’était formée entre les omoplates. C’est pourquoi je la trouvais douloureuse quand je la manipulais à cet endroit pour le bain ou le change. Les contractions du faux travail survenant toutes les minutes pendant près de 11 heures sans aucune possibilité de répit et plus violentes les unes que les autres, l’ayant comprimée trop souvent, trop fort, trop longtemps, son estomac avait très légèrement bougé, soulevant son diaphragme. C’est pourquoi elle avait toujours le hoquet dès qu’on la manipulait un peu trop vite après une tétée et qu’elle régurgitait souvent.

Avant de la rhabiller, l’osteo a fait couler dans de tous petits sachets plastique quelques gouttes de chacun des flacons et les a soigneusement refermés. Elle m’a expliqué que l’afflux soudain de produits toxiques in utéro au moment du déclenchement avaient encrassé le foie de mon bébé, seul organe à même de traiter leur élimination mais encore trop peu mature à ce stade pour effectuer ce drainage correctement. Elle a accroché les petits sachets à un bouton du body et m’a dit de les laisser ainsi, nuit et jours, pendant 9 jours complets: au contact de la molécule, le corps va reprendre le processus d’élimination entamé lors de l’accouchement et ainsi nettoyer le foie de tous les restes de produit. Accessoirement, son acné du nourrisson devrait disparaître, puisqu’il est systématiquement dû au foie et à la mauvaise élimination de certaines toxines au début de la vie. J’en aurai appris des choses aujourd’hui…

Voilà ce qu’a été notre première séance d’ostéo. Une machine à remonter le temps…et je comprends mieux maintenant tout ce qu’il s’est passé depuis la naissance. Ce besoin constant de ma fille d’être contre moi, cet apaisement immédiat induit par le portage, son sommeil bien meilleur lorsqu’on est en cododo. On l’a arrachée à son écrin et ces situations sont autant de moyens pour elle de le retrouver. Mon besoin, à moi, de combler ce 9ème mois si brutalement interrompu en enveloppant mon bébé de mes bras, en dormant avec elle, en la gardant près de moi. A l’heure où j’écris ce billet, elle dort. Elle pourrait tout aussi bien être dans son transat, ou dans son lit, pourquoi pas. Mais non. Je la garde là, tout contre moi, dans l’écharpe. A portée de câlin. Et à portée de mes larmes que j’ai bien du mal à contenir depuis ce matin. Ce jour là, elle a eu mal, elle a eu peur…ce qui est arrivé n’est pourtant pas de ma faute, mais je lui demande tout le temps pardon pour ces premiers instants difficiles.

Et je lui dis que tout va bien maintenant, qu’il ne faut pas qu’elle s’inquiète.

Je lui dis que Maman est là.

Lou, mon bébé si sage, 6 semaines à ce jour. 

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