La mécanique de l’attachement

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2 mois et une semaine que mon fils est né.

Le temps passe bien vite dites moi…une amie m’a dit il y quelques semaines « Tu verras, celui-là tu ne le verras pas grandir ». J’ai peur qu’elle n’ait raison. Les jours filent, les tailles de vêtements se succèdent et les habits en 6 mois prennent tranquillement place sur l’étagère. Petit Marin deviendra grand plus vite qu’on ne le pense!

Aujourd’hui mon amour pour lui est immense. Mais je n’aurais jamais cru me sentir inquiète, un jour, de ne pas sentir cet amour naître. C’est pourtant ce qu’il s’est produit. Malgré des conditions initiales plus que favorables à un attachement solide et immédiat (accouchement physiologique et facile, allaitement sans problèmes, peau à peau, portage…), il m’aura fallu plus de trois semaines pour lier avec mon fils une relation d’amour.

Trois semaines qui m’ont paru une éternité. Comment? Comment moi, me connaissant si entière dans mon amour maternel, si proche de mon premier enfant dès les premières secondes de sa vie à l’air libre, comment était-ce possible de ressentir cette absence de sentiments? Des jours et des jours à m’occuper de cet enfant avec soin, parce qu’il en avait besoin, mais sans toucher cette flamme intense qui m’avait submergée lors de mon entrée dans ma vie de mère. Des gestes mécaniques, une tétée, un séjour en écharpe, une berceuse, des couches propres…mais toujours en surface. Au point de dire un soir en pleurant, dans les bras de mon conjoint, « mais je ne comprends pas, pourquoi je n’y arrive pas? »

Beaucoup de recul plus tard, j’ai très bien compris et j’aperçois mieux, maintenant, la complexité que représente ce lien d’attachement mère-bébé. Il ne dépend pas que de ces deux entités qui s’appartiennent l’une à l’autre. Il est fonction de mille paramètres, qui mis bouts à bouts permettent, ou empêchent, la création du lien.

A la naissance de mon fils, tout était réuni pour que son arrivée nous transporte de joie. Ce fut le cas, les premiers jours, le bain d’hormones d’un accouchement fabuleux aidant sans doute à vivre les premières heures dans l’allégresse de la découverte de ce petit bébé tout neuf. Et puis le retour à la vie quotidienne fut une douche froide. Ma fille, âgée de 2 ans et 3 mois lors du retour à la maison et que nous n’avions toujours connue que sous un jour adorable et sans crises, se mua en une tornade hurlante. Du jour au lendemain, elle se mit à frapper, mordre, hurler, se rouler par terre, briser tout ce qu’elle tenait entre ses mains. Nul besoin d’un doctorat de psychologie pour constater l’étendue des dégats, l’arrivée de son frère était une épreuve très dure pour elle.

Nous nous sommes retrouvés parfaitement démunis face aux manifestations de sa souffrance. Le premier mois s’est transformé en enfer sur Terre, la relation que je vivais autrefois avec ma petite avait volé en éclats et j’essayais de sauver ce qui pouvait encore l’être. L’inconfort que me procurait le co-allaitement (j’y reviendrai dans un prochain billet) n’aidait en rien cette entreprise : j’ai vécu des sensations de rejet (et parfois même de désamour) très difficiles à accepter, qu’elle a évidemment ressenties, et qui m’ont plongée dans le désarroi le plus total. J’avais l’impression de ne plus avoir d’amour pour personne. Ni lui, ni elle. L’envie de sevrer tout le monde et de partir seule quelques jours, ailleurs, loin du chaos de ma tête et de mon foyer.

Et aussi, vieillir.

Mettre au monde un nouvel enfant et passer définitivement du côté des parents. Regarder ces adultes dans la rue, avec leur poussette et leur aîné trottinant à côté et me demander « est-ce que maintenant je leur ressemble? ». Ces gens qui m’appellent Madame même quand je suis seule.

Et puis, les amies.

J’en ai passé des heures à discuter de cet attachement qui ne venait pas, avec mes amies d’ici et de derrière l’écran, pour finir par comprendre que la tempête, sous mon crâne comme sous mon toit, faisait barrage. Je n’avais pas les ressources pour me tourner vers mon fils. Mon esprit était tout entier tourné vers la relation avec mon aînée, qu’il fallait remettre à flots. Submergé par la peur de cet inconnu qui nous attendait dans cette nouvelle histoire à construire avec elle, dévasté par ce deuil à faire de notre amour exclusif qui ne serait plus jamais le même. Que de chagrin j’ai pu ressentir ces trois premières semaines et que de larmes j’ai pu verser. De rage envers moi-même, de désolation envers mes deux petits protégés. Lorsque ma fille s’endormait le soir après sa tétée, je lui disais dans son sommeil à quel point j’étais désolée du mal que l’on se faisait et qu’un jour tout irait mieux.

Et puis, le temps.

Qui a passé doucement, jour après jour, amenant avec lui la connaissance de mon fils, de son rythme, de sa petite âme toute neuve, ses premiers sourires. Et l’apaisement de ma tête qui n’avait plus peur de vieillir, et l’apaisement de mon coeur qui n’avait plus peur d’aimer pour deux.

Et puis ma fille, un matin, que j’ai vu redevenir l’amour d’enfant qu’elle avait toujours été. Toujours un peu jalouse de son frère mais pleine de bienveillance aussi, lui disant « je t’aime » lorsque ses minuscules jambes pédalent à toute vitesse sur le tapis d’éveil.

Et puis l’amour, là, pour ce petit bébé tout neuf. Qui a grandi en moi sans rien dire, discrètement, au fil des tétées et des ballades portées. Aujourd’hui notre attachement ce sont ses sourires merveilleux lorsque je le prends dans son lit, ou les longues siestes de l’après-midi lorsque l’on s’endort ensemble, son petit nez collé au mien.

Aujourd’hui j’aime deux enfants.

Après avoir bien cru ne jamais y arriver.

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