Redevenir mère

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Ecrire immédiatement, pour ne pas oublier.

Comment pourrait-on, remarquez. Mais il paraît que les hormones ont aussi un rôle d’effaceur, pour ne pas empêcher la venue d’une envie de recommencer. Or ce que je viens de vivre, ce que nous venons de vivre en ce jeudi 5 juin 2014 ne doit jamais quitter ma mémoire. Je ne veux pas oublier ce flot immense, d’émotions en longues expirations, de poussées en râles intenses et venus du plus profond de moi. J’ai le sentiment d’avoir vécu une expérience ultime, quelque chose d’indescriptible mais à la fois tellement réel et ancré dans la Terre.

En ce 5 juin 2014, j’ai accouché pour la seconde fois.

Le samedi précédent, une journée de contractions rapprochées mais largement supportables nous avaient alertés de l’imminence de l’événement. Dimanche ? Lundi ? Milieu de semaine ? A 3h30 ce jeudi 5, les premières contractions douloureuses me tirent de mon sommeil. Je reste dans mon lit, allongée sur le côté, soufflant doucement…j’attends, les yeux rivés sur le radio-réveil. De 7 minutes en 7 minutes, le manège se poursuit. Je souffle un peu plus fort. A 4h15, une première série plus violente me fait descendre faire les 100 pas du salon à la cuisine. A 4h45, une tentative de bain chaud ne règle rien, les signaux s’intensifient et se rapprochent. 5 minutes d’intervalle.

C’est sûr maintenant. C’est pour aujourd’hui.

Il est 5h30, je monte prévenir mon conjoint. Chaque contraction m’immobilise. Fermer les yeux, inspirer à fond, souffler jusqu’au bout…On hésite encore. Réveiller ses parents, nos plus proches aides, à 5h30…et si c’était une fausse alerte comme la semaine précédente ? Nous tranchons enfin : si à 6h rien n’a cessé, on décroche le téléphone.

6h00, je commence à avoir du mal à parler lorsqu’une contraction approche. J’ai encore assez de maîtrise de moi-même pour appliquer les précieux conseils de ma sage-femme et aider mon fils à descendre pour que ça dure le moins longtemps possible. Car moins de temps le travail durera, moins de temps j’aurai mal…

Le travail avance très vite, il n’y a plus de temps à perdre. Avec 40 minutes de route de chez eux à chez nous, il ne faut plus attendre : à l’allure où les choses bougent, il se pourrait que je ne puisse plus marcher dans une heure. La maternité est à 500 mètres de chez nous, j’ai géré le maximum de travail possible à domicile, il faut partir. Ils se mettent en route et nous rejoignent à 6h45. Ma petite Lou dort toujours, là haut. Aujourd’hui, à 2 ans et 3 mois, sa petite vie va changer mais elle ne le sait pas encore. A son réveil, elle trouvera papi et mamie pour lui servir ses céréales, et partira passer le week-end chez eux comme d’habitude depuis 2 mois.

7h. Nous arrivons à la maternité.

Ma copine Stéphanie, avec qui je communique par SMS sur l’avancée du travail depuis une heure, a appelé le service pour prévenir de notre arrivée. Nous sommes pris en charge par une sage-femme, jeune, contrôle immédiat du col : je suis à 5. Déjà ! La moitié du chemin est fait et je suis encore plutôt en forme. C’est intense, mais je gère. Elle me demande de m’allonger pour 30 minutes de monitoring. Calmement, on lui explique que s’allonger là maintenant en l’état des contractions, c’est impossible. Il faut que je bouge, au moins sur un ballon, mais la position allongée, c’est non sans quoi il me sera impossible de gérer ma douleur et si je perds pied maintenant, je peux dire adieu à mon accouchement sans péridurale. Elle insiste, on ne lâche pas, le ballon arrive. Je lui dis que j’ai conscience qu’elle a besoin de son monitoring mais que j’ai aussi besoin de pouvoir faire ce que mon corps me dicte, et que je veux bien de fait le positionner où elle veut tant que je peux bouger.

Elle pose l’appareil, contrariée mais consciente je pense des enjeux et de notre détermination, et me demande de maintenir les capteurs qui ne peuvent pas tenir correctement dans la position choisie. Je le fais sans problème. Après 30 minutes assise sur ce ballon, il faut impérativement que je me lève. Je ne supporte plus la sensation de compression sur l’entrejambe et je réprime une envie, presque un réflexe, d’arracher la sangle pour me libérer et trouver quelque chose à quoi me suspendre. Mon conjoint se place assis sur le lit derrière moi et je m’installe, en suspension, un bras de chaque côté de ses cuisses, accroupie. Nous finissons le monitoring, nouveau contrôle du col : 7. Il est 7h30. Je gère toujours, grâce à mon conjoint qui prend le relais de ma conscience et me rappelle ce que notre sage-femme nous a fait comprendre en séance de préparation. Il me masse le bassin, frotte la peau, demande à ce que l’on chauffe la petite bouillotte de noyaux de cerises que j’utilisais depuis le matin en application sur les zones critiques.

On nous informe que l’on va descendre, je prends quelques minutes pour faire confirmer à la sage-femme les quelques points de notre projet de naissance et là, surprise, elle contredit toutes mes questions. Choix de la position ? C’est compliqué madame… Pas de clampage immédiat du cordon ? Ah non certainement pas, nous avons besoin d’un prélèvement immédiat. Pas de délivrance dirigée ? Ah si c’est le protocole ! Je sens la panique me gagner, mais je ne suis plus en position de négocier…si bataille il doit y avoir, c’est mon conjoint maintenant qui ira la mener.

Mais c’était sans compter sur la relève.

7h, c’est aussi la rotation du matin. Le passage de flambeau entre l’équipe de nuit et l’équipe de jour. La jeune sage-femme me laisse entre les mains de deux de ses collègues, dont l’une est la spécialiste de l’établissement pour les accouchements physiologiques. Elle demande si on opte pour la délivrance dirigée (une perfusion de syntocinon immédiatement après la naissance pour expulser le placenta dans la foulée), je lui dis que non. Pas de péridurale, pas de syntocinon, rien. Elle me parle doucement, me demande de quoi j’ai besoin. Debout, assise, ballon, barre ? Les contractions deviennent vraiment violentes, j’ai besoin de toute mon énergie et de toute ma concentration pour les dépasser une à une, encore et toujours avec l’aide de mon conjoint et des précieux conseils des cours de prépa. Je ne l’entends même plus, ne lui donne aucune réponse, je la vois qui regarde sa collègue en posant un doigt sur la bouche l’air de dire « elle fait le job, chut ».

La contraction suivante est la plus forte d’entre toutes depuis le début du travail, je ressens la première poussée réflexe. Un mouvement incontrôlable d’expulsion, qui traverse tout mon corps et propulse l’enfant une première fois vers la sortie. A la fin de cette poussée, Simon est toujours là pour me rappeler de tout lâcher, de souffler, encore, et encore. Je souffle, encore et encore. Et je ressens la détente incroyable après l’effort, comme un rechargement express avant le prochain tsunami. Les sage-femmes soulagent mon ventre et mon dos de petits frottements qui détournent la douleur initiale, ça m’aide et me redonne de l’énergie pour continuer le voyage.

Je ne tiens plus debout.

La sage-femme et sa jeune collègue (tout aussi gentille et douce) m’installent, je m’allonge sur le côté gauche, une jambe relevée de façon à pouvoir basculer à fond le bassin et arrondir ainsi l’angle de passage du bébé. La moindre cambrure est impensable : le bébé est engagé et appuie sur le sacrum, il faut absolument l’en décoller. Basculer le bassin est ma seule option. Libérer le passage, visualiser le toboggan, lui montrer la sortie. L’autre jambe est solidement ancrée sur la cuisse de mon conjoint, debout au bout du lit. Mon point d’appui désormais à chaque nouvelle poussée, pendant qu’au dessus de ma tête mes bras poussent vers le bas en prenant appui sur la barre métallique. Les deux mouvements contraires vont maximiser l’effet des poussées réflexes en se servant des impulsions de mes membres pour aider l’enfant à descendre.

Et justement la seconde poussée arrive. Nul besoin de se forcer ou qu’on me le dise : c’est mon corps qui travaille maintenant, je suis envahie d’hormones qui me droguent complètement mais me plongent à la fois tout au fond de cet événement, je suis seule dans ma bulle. Je n’entends plus rien, hormis le premier de mes trois cris, et l’explosion de la poche des eaux. Ces cris, ce ne sont pas de la douleur, mais une énergie incroyable venue du fin fond de moi-même à chaque poussée. L’expression de cet effort dément. Jereste abasourdie en écrivant ce texte par la puissance des choses…Troisième poussée réflexe.

La tête est dehors. Et il s’exprime déjà mon fils, je l’entends émettre un petit cri. Simon m’encourage encore, me dit qu’il le voit. La quatrième poussée se chargera des épaules. Je sens alors tout le reste de son corps glisser hors de moi dans une trombe d’eau.

Il est 8h31.

Un petit bonhomme tout bleu est posé sur ma poitrine. Ni l’une ni l’autre sage-femme ne touche au cordon. Au bout de trois ou quatre minutes, la plus expérimentée me dit « je vous montre, il ne bat plus. On peut couper maintenant ». J’entends le bruit de la section, elles glissent mon fils sous ma chemise et je vois sa peau se colorer doucement, après chaque minute au contact de ma chaleur. Il cherche le sein, finit par le trouver. La sage-femme examine rapidement : il n’y ni déchirure ni petits points à faire.

Démarre l’attente du placenta. Au bout de 40 minutes et malgré la tétée constante de mon petit qui provoque les contractions nécessaires, il n’arrive pas. Le délai de leur protocole physiologique est dépassé, il faut m’anesthésier brièvement pour aller le récupérer directement. Elle attend, le plus possible, attend encore…puis se décide. C’est alors qu’elle allait fixer la perfusion que ma délivrance naturelle est arrivée, 45 minutes après la naissance. Mon accouchement est terminé. Plus tard, en remontant, sage-femmes et parents se remercieront avec beaucoup d’émotion pour cette naissance hors du temps.

Elles me nettoient, me protègent comme il faut. Il est 8h45, le soleil du matin inonde la pièce et nous regardons ce petit garçon qui découvre mon sein, ponctuant sa tétée de petits grognements et même d’un premier sourire, ces sourires uniques dans l’allaitement comme si l’enfant vivait par la tétée un bonheur immense. Je me souviens, au deuxième jour, avoir entendu ma fille rire à mon sein. Souvenir inoubliable de nos premiers échanges lactés.

Redevenir mère, en ce 5 juin 2014, beau jour ensoleillé. Petite merveille qui dort avec son pouce après sa première tétée…j’avais oublié la beauté de ces instants nouveaux. Tout est silencieux, dormir un peu, rentrer dans cette nouvelle tranche de vie.

Bienvenue au Monde, petit Marin, mon fils, tu étais très attendu.

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