Sa place de père.

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Préambule.

Lorsque j’étais enceinte, son père et moi n’avions pas « choisi » d’allaiter. C’était un postulat tout à fait évident, j’allaiterais de façon aussi sûre que j’accoucherais, il n’était pas question de faire autre chose. Pour moi, et c’est encore valable aujourd’hui, l’autre chose n’existe tout simplement pas. Elle existe chez les autres, dans la vie des autres. Mais dans la mienne, elle n’a aucune forme concrète. Jamais une seconde je n’ai envisagé l’éventualité de ne pas allaiter. Jamais une seconde aujourd’hui je n’envisage de sevrer avant que ce soit ma fille qui décide de ne plus téter comme un autre bébé pourrait refuser ses biberons en grandissant. Non, jamais. Pour le papa, et bien que personne dans son entourage n’allaite, qu’il n’ait lui même pas été allaité, et que je sois la seule à avoir évoqué verbalement cette question avec lui, l’allaitement était aussi la seule possibilité. Encore aujourd’hui, après 9 mois et demi à allaiter ma fille, il m’encourage à poursuivre. Ce n’est pas un choix, à ce stade, mais une conviction il me semble. Et si un jour un problème venait à mettre cet allaitement en péril, je sais que nous remuerons ciel et terre, ensemble, pour trouver une solution, et que le sevrage n’interviendrait qu’en ultime recours, qu’après avoir tout tenté.

Certains diront qu’une telle rigidité est symptomatique de l’allaitement comme désir de la mère avant tout, comme égoïsme même, parfois, tant la mère insiste pour continuer à allaiter alors qu’elle rencontre tellement de difficultés. Mais personne ne voit – ou plutôt ne veux admettre – qu’au final, cette détermination à poursuivre, ma détermination à ne pas faire autre chose, ce n’est pas une histoire de mère. C’est une histoire de bébé. C’est y croire et tout donner de soi, toujours, pour permettre au bébé de continuer à se nourrit de son lait. De ce lait qui a été prévu pour lui, adapté en tous points au moindre de ses besoins. Ce lait que rien ni personne ne peut égaler tant la Nature sait y aller de sa perfection en tant de domaines.

SON lait. Le lait que je produis, à chaque tétée depuis 9 mois et demi, ce n’est pas le mien. C’est celui de ma fille. Si j’avais eu un autre bébé, j’aurais eu un autre lait, pour d’autres besoins, pour d’autres évolutions. Elle a droit à son lait comme j’ai droit à mon air. C’est ce qui est prévu pour elle, et l’effervescence de nos vies ne suffit pas à justifier que je l’en prive.

Alors souvent, après la traditionnelle question « ah tu allaites encore », on se tourne vers le père et suit la seconde question: » et alors du coup ça va, tu arrives à faire des trucs avec elle? ». Et à chaque fois, je me dis que cette question fait partie des arguments les plus souvent avancés pour justifier un non-allaitement: « je n’allaite pas, car on voulait que le papa puisse participer ». « Je n’allaite pas, car le papa avait peur de se sentir exclu ».

Dès sa naissance et consciente de l’importance du sein dans l’environnement psycho-affectif du nouveau-né, j’ai laissé à ma fille un accès libre et illimité aux tétées. Aucune restriction, aucune régulation forcée. A la demande, à la demande, à la demande. Pas de biberons de lait artificiel donc, pas de biberons de lait tiré pour que son père puisse la nourrir ou prendre le relais la nuit. Encore aujourd’hui, j’allaite la nuit…on s’y fait, si si je vous jure :)

Les trois premiers mois, ma fille n’a pas touché terre. Je la portais sans cesse, contre ma poitrine en écharpe. Siestes, tétées, temps d’éveil…l’écharpe était son nid permanent, jusqu’au soir où elle passait sa nuit sur mon ventre, jusqu’au lendemain où recommençait les jeux de nouages: écharpe, tétées, écharpe, dodo, tétée, écharpe, dodo, tétée. A l’infini. Les jours se suivaient et se ressemblaient, faits de lait, de douceur et de bercements au rythme de mon quotidien de jeune maman.

Et le papa dans tout ça?

Dès le départ, la question de la place du père s’était donc posée entre nous et, si jamais nous n’avions pas évoqué la question, les autres se chargeaient de la poser pour nous. Nous avions donc « décidé » que le papa prendrait en charge le moment de la toilette, et qu’ensuite évidemment il pourrait porter, promener, jouer…autant qu’il le souhaitait.

Mais nous avions oublié un détail: le bébé. On prévoit tout un tas de choses avant une naissance. « Moi je ferai ça, toi tu feras ça, et le bébé dormira là, et on procèdera comme ça ». Et puis finalement, la naissance arrive et tout vole assez vite en éclats: on oublie les prévisions et on s’adapte au petit bout de bébé qui vient au monde. Ses angoisses, sa personnalité, ce qu’il aime, ce qu’il n’aime pas. Et on fait en fonction. Certains pour qui le sommeil partagé était une hérésie se retrouvent à cododoter pendant des mois. Certains pour qui l’allaitement était juste l’affaire d’une tétée d’accueil se retrouvent à poursuivre bien plus longtemps…C’est toujours comme ça: on ne peut pas savoir, à quel point une naissance va venir bouleverser nos convictions et transformer les idées pré-conçues que l’on avait de la parentalité.

Ici, le modèle de bébé dont nous avions hérité se laissait bien faire par son père au moment du bain – à condition qu’il n’ait pas les mains froides et que ça ne dure pas trop longtemps -, et donc son père lui donnait le bain avec plaisir. De l’autre côté de la porte, je les entendais. Il lui parlait, lui racontait sa journée de travail, lui demandait ce qu’elle avait fait avec maman. Si elle avait bien dormi, si on était sorties se promener. Mais, en dehors du bain, ce modèle de bébé était indécollable de sa mère. En temps normal, elle ne pleurait jamais. Que l’on essaye de me la prendre et elle faisait très vite comprendre que l’action était tout à fait inadaptée, et ce même lorsque c’était son père qui tentait de la porter un peu. Au bout d’une vingtaine de secondes, l’échange se transformait en pleurs stridents qui ne se calmaient qu’en revenant au sein.

Un mois, deux mois, trois mois. La situation durait….4 mois et toujours le même scénario: le bain, pas de problèmes, mais le reste du temps, Maman. Et c’était valable pour tout le monde: amis, cousins, oncles, tantes, grands-parents. Quelques secondes, pourquoi pas, mais fallait pas exagérer quand même. Et puis un jour, cette remarque du papa, en me la remettant dans les bras lors d’une nouvelle crise de larmes car il avait tenté de la prendre contre lui: « De toute façon, à chaque fois que je l’approche elle pleure alors… ». J’ai senti une profonde tristesse dans son intonation. Je l’ai senti désemparé face à ce bébé qu’il voulait toucher mais qui le repoussait à chaque tentative. Il devait penser que son bébé ne l’aimait pas, ou bien que ce qu’il faisait avec elle n’était pas suffisant pour mériter son affection.

Il aurait pu me dire « peut-être que c’est à cause de l’allaitement ». Peut-être même l’a-t-il pensé. Mais il ne l’a jamais dit, ni même suggéré à mots couverts. Et puis, je l’ai ramené à la réalité. 4 mois. 120 jours. C’était si peu! Si peu de temps encore séparait notre fille du cocon intérieur dont elle s’était extirpée. Et tellement de temps encore allait s’écouler pour la voir grandir et l’accompagner dans la vie. Tellement de temps où elle apprendrait, jour après jour, à prendre confiance en son entourage pour aller vers les autres. Et vers son père.

Leur moment de toilette quotidien a perduré. Notre fille grandissant, j’entendais derrière la porte les grandes discussions qu’ils engagaient. Le son des sourires et d’une communication naissante. 5 mois, 6 mois…et de plus en plus de moments, en plus du bain, où ils jouaient tous les deux. Avec la motricité et la marche à quatre pattes dès 7 mois, notre fille a également manifesté, de plus en plus, son envie de rentrer en contact avec lui. Elle s’est mise à le suivre dans la cuisine, au salon. A tendre les bras vers lui, de plus en plus souvent.

Aujourd’hui.

A 9 mois et demi, Lou est folle amoureuse de son père. Elle l’entend rentrer du travail et se plante devant la porte en attendant qu’elle s’ouvre. Lorsqu’il entre, elle pousse les petits cris d’excitation dont elle a le secret et fait bravo à toute vitesse. Puis elle fonce s’agripper à son jean pour se mettre debout et qu’il la porte, enfin. Après quoi elle entreprend de lui nettoyer le visage à grands renforts de bisous baveux bouche grande ouverte. A toute heure de la journée, ils passent de longs moments à jouer. A se découvrir, aussi.

Pourtant, j’allaite « toujours ». J’ai une relation toujours aussi proche et fusionnelle avec ma fille, je chéris ces moments d’allaitement qui rechargent mes batteries, physiques comme maternelles. Alors si l’allaitement était réellement un frein à la création d’une relation père/enfant, et vu la fréquence actuelle des tétées – encore largement 10 par jour, plus les nuits – on devrait en être toujours au même point. Un bébé qui ne veut que sa mère, qui repousse son père, qui ne cherche que le sein.

Et si ça tenait à tout autre chose?

On peut partir du postulat que nourrir un enfant n’est pas la seule chose à faire pour créer un lien avec lui, et que tous les moments du quotidien peuvent participer à ce lien d’amour. Les moments de soin, la promenade, le jeu, le portage…autant de gestes tout à fait applicables par le père et qui renforcent l’attachement entre les deux êtres. Mais ce n’est finalement pas ce qui m’intéresse ici.

On peut entendre parfois des mères parler de la lenteur de la construction du lien père/bébé et dire « si je n’avais pas allaité, il aurait pu être tout de suite proche de notre enfant ». Ou encore « je ne vais pas allaiter, parce que je ne veux pas que ça empêche la construction du lien affectif avec le père ».

Mais qu’en sait-on, au final? La mère qui allaite et qui dit « si je n’avais pas allaité » énonce une hypothèse tout à fait hasardeuse. Qui dit qu’avec le même bébé nourri au biberon, le lien se serait construit plus vite? Qui dit que le père aurait apprécié et multiplié le moment du repas? Quand à la mère qui n’allaite pas, qui dit qu’un allaitement aurait empêché? Qui dit que la construction n’aurait pas été exactement la même?

En fait, et tout simplement, pourquoi n’envisages-t-on jamais la questions sous l’angle de la personnalité de l’enfant d’une part, et de la construction sur le long terme d’autre part?

On dit toujours: « on ne naît pas mère, on le devient ». Par contre, et peut-être est-ce dû à l’avènement de la génération des « nouveaux pères » qui veulent s’investir dans l’ensemble de la vie du bébé (et on ne va pas s’en plaindre!), la relation avec le père doit se faire le plus rapidement possible. Il ne faut pas traîner! Alors qu’il faut plusieurs semaines, voire plusieurs mois parfois à une mère pour découvrir son enfant et créer jour après jour le lien si étroit de l’attachement, pourquoi vouloir absolument que ce même lien soit quasi immédiat avec le père? Pourquoi ne pas accepter de se laisser, là aussi, du temps pour se découvrir et surtout pourquoi ne ramener ce lien qu’au geste nourricier et exclure tout le reste?

Alors qu’elle pleurait systématiquement au contact de son père, beaucoup nous ont dit « mais gardes là, forcément si tu la redonnes à sa mère, ça restera toujours comme ça, il faut qu’elle apprenne à rester sur toi aussi, tant pis si elle pleure un peu ». Nous avons choisi de ne jamais la forcer. De toujours la laisser juge de ce qui était adéquat et de considérer que ses pleurs signifiaient son inconfort. Nous n’avons jamais insisté, elle est toujours revenue contre moi.

Aujourd’hui je regarde avec émerveillement les expressions de ma fille lorsqu’elle s’adresse à son père. Elle lui fait du charme, lui adresse des grimaces qui lui sont réservées et auxquelles je n’ai pas droit, de même que des sons particuliers. Elle le suit partout et passe des heures avec lui, à la maison ou à l’extérieur. Sa place de père n’est plus à faire. Elle s’est construite jour après jour et se construit encore. Il l’a prise à sa manière, et Lou lui a donnée pleinement, à son rythme, sans forcer.

Et pourtant, j’allaite. Toujours.

Cette ChouChou au manège…on devine le regard du papa fondu de son bébé 🙂

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