Nous ne sommes pas forcément deux

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J’ai lu un article sur le maternage.

Un parmi les milliers d’autres qui existent sur la toile. Il m’amène deux réflexions en ce beau dimanche ensoleillé. L’une au sujet de la terminologie qui sera développée dans la première partie de ce billet, car je suis comme qui dirait en situation d’overdose*, et l’autre sur la perception persistante (et presque fantasmée au 21ème siècle) de la cellule familiale, en dehors de toute observation concrète de la société actuelle.

*Note: L’overdose n’est pas créée par l’article en question, qui a simplement inspiré la réflexion. Mais par tous les autres que j’ai pu croiser depuis (ou avant!) et qui, indéfiniment, recréent toujours les mêmes conflits, et les mêmes abus de langage.

1 – Terminologie: c’est quoi le maternage?

On parle déjà du clivage allaitantes/biberonnantes (le premier qui me met un commentaire sur « pourquoi j’ai choisi d’allaiter » ou « pourquoi j’ai choisi de biberonner » ou encore « c’est vrai quoi, chacun ses choix », je l’engueule d’une part, et je supprime le commentaire d’autre part. Ce n’est absolument pas le sujet du billet et je n’ai pas envie de voir naître ici un énième fil de commentaires engagés, on aura largement le temps d’en reparler sur d’autres articles dédiés à la question d’ici l’arrivée du baby. Merci). Maintenant, à cause d’un simple abus de langage, on a aussi les maternantes/non-maternantes.

En pratique pourtant, ça ne veut strictement rien dire.

Sur les blogs, on lit partout ce mot: maternage. « Les pratiques de maternage ». Les « maternantes ». Globalement, ce mot définit le mouvement actuel regroupant un ensemble de pratiques telles que le portage physiologique, le cododo, les couches lavables, l’allaitement long, l’hygiène naturelle infantile (HNI), la nourriture bio, l’éducation non-violente, liste non exhaustive. Un ensemble de pratiques qui contribueraient à un développement plus épanoui de l’enfant, une meilleure autonomie, une plus grande indépendance en grandissant (merci de noter l’emploi du conditionnel: ce billet ne veut rien affirmer, j’énonce seulement un postulat. L’idée n’est pas de faire naître une discussion sur pourquoi c’est vrai ou faux, ni de dire « je n’ai pas materné mon fils et pourtant il est très autonome! ». Ce n’est pas la question aujourd’hui).

Pour ma part, je ne considère pas que le portage physiologique, l’allaitement long ou les couches lavables aient besoin d’un « mouvement » pour être légitimés comme étant des pratiques responsables et relevant du « maternage »: on peut choisir les couches lavables uniquement par conviction écologique et pas forcément par conviction du bienfait sur l’enfant. On peut choisir le portage physiologique par simple bon sens en constatant qu’entre un bébé porté par l’entrejambe et un bébé porté en position assise, l’un sera forcément mieux installé que l’autre. On peut choisir de porter son bébé en écharpe uniquement pour avoir les mains libres et pouvoir agir tout en ayant l’enfant sur soi, sans pour autant le faire par conviction du bénéfice sur l’enfant mais uniquement pour des raisons purement pratiques (combien de fois ai-je entendu ma mère, un frangin sur la hanche, dire « faudrait bien que j’ai mes deux mains! » Il aurait suffi qu’elle voie une amie porter en écharpe pour que l’idée lui vienne de faire pareil, se libérant ainsi sacrément les mains avec 4 autres enfants à gérer dans la maison).

Quand à l’allaitement, la nature même de cet acte m’empêche de l’intégrer à ce mouvement. Les « maternantes » le revendiquent, pour autant c’est un processus inhérent à l’être humain qui se passe de classification. Bref, on pourrait discuter longtemps de ce qui rentre, ou pas, dans le concept du « maternage » tel qu’on nous l’explique un peu partout. Dans un prochain billet, pourquoi pas.

Je constate que ce mouvement appelé « le maternage » est aussi défini comme le concept des « parents nature ». A la limite, je préférerais qu’il continue de s’appeler ainsi. Ou bien que les articles traitant de ce sujet emploient le terme complet à savoir le maternage PROXIMAL. Ce n’est pas beaucoup, un mot de plus. Ce n’est pas comme si on demandait d’écrire une phrase de plus avec plein de termes compliqués.

Parce que tout le monde materne.

En écharpe ou en poussette, en couche lavable ou en Pamper’s. Tout le monde materne et entendre le contraire m’exaspère.

Le mot « materner » n’a pas attendu le mouvement actuel pour exister. Il découle directement de « maternel » et signifie « s’occuper de quelqu’un comme une mère ». De cela découle « maternage », « action de traiter maternellement ». Alors quand j’entends que adhérer à ce mouvement, c’est être maternante, et ne pas y adhérer c’est être non-maternante, et bien ça m’agace un tantinet. Réduire le maternage « proximal » au maternage « tout court » est un abus de langage qui peut à mon sens poser beaucoup de problèmes, car c’est attribuer à une certaine catégorie de parents, ayant fait un certain nombre de choix et pas n’importe lesquels, l’exclusivité d’une attention bénéfique et optimale envers l’enfant. Parler de maternage tout court lorsqu’on veut évoquer le maternage proximal, c’est à mon sens aussi dangereux et potentiellement culpabilisateur que de demander à une femme donnant le biberon: « ah, tu ne le nourris pas? ». Cela n’a aucun sens.

On connait l’extrême fragilité de nombreuses jeunes mères, entre nouvelle vie à construire, post-partum difficile, questionnements profonds et divers. On connait le pouvoir des mots, des expressions courantes sur la vie sociale, sur les comportements. Et je ne suis pas certaine que l’on mesure bien le poids des mots lorsque l’on matraque à tout va ce terme de « maternage ». Une jeune mère fragilisée, doutant déjà de sa capacité à être « une bonne mère », pourrait se sentir confortée dans ses doutes et se convaincre qu’elle n’est pas aussi bonne mère que sa voisine « maternante ». Se demander pourquoi elle n’est pas capable de donner l’amour de cette manière, et si celui qu’elle donne en est vraiment, par extension. A l’heure où les femmes sont complètement dépossédées par la société, les médias, la puériculture, les pédo-psychiatres etc, de toute capacité de jugement intime sur leur rôle et leur comportement de parent, à l’heure où leurs comportements et leurs choix sont sans cesse mis en comparaison d’autres ou placés en regard des bonnes pratiques édictées par le corps médical, il me semble que le sens des mots est important.

On materne dès lors que l’on s’occupe de son enfant. On peut décider de materner dans le courant proximal du maternage, par choix, par conviction, par imitation, que sais-je. Mais quelles que soient les pratiques employées et dès lors qu’elles visent à répondre aux besoins de l’enfant, alors le maternage est présent. Finalement, je ne demande pas grand chose: rajouter un tout petit mot. Appeler les choses par leur nom. Parler de maternage proximal, parce que ça s’appelle comme ça. Il me semble que cela désamorcerais bien des tensions, bien des clivages inutiles, et éviterait beaucoup de mauvaises interprétations qui ne peuvent, à la longue, qu’être néfastes.

2 – Une perception persistante de la société

Ce même article sur le « maternage » était suivi de commentaires, évidemment. Dans l’un d’eux, une lectrice s’étonnait que les femmes parlant de maternage proximal n’évoquent que très peu la place du père, le fait qu’il pouvait lui aussi s’approprier ces pratiques. C’est tout à fait vrai et ça ne m’aurait pas dérangée plus que cela si le commentaire en était resté là. Moi même, je m’interroge énormément sur la manière dont Gros Chéri créera ses liens avec notre bébé, sa place de père me semble essentielle dans la manière dont j’envisage notre famille. Malheureusement, elle terminait son message par la phrase suivante: « parce que finalement, dans cette histoire, on est bien deux non? »

Et bien, j’ai justement envie de dire que non. Pas toujours. Trop souvent non.

Combien sont les femmes, enceintes ou avec des enfants en bas-âge, dont le couple éclate, remettant en cause tout ce qu’elles envisageaient en terme d’éducation et de cellule familiale? Je suis assez étonnée qu’en 2011, alors que les familles mono-parentales sont si répandues dans la société, on puisse encore établir comme une évidence que « de toute façon, on est deux, non? ». Cela me paraît aussi absurde que d’oublier que tout le monde n’est pas forcément hétérosexuel: toutes les femmes avec des enfants ne sont pas forcément en couple, et encore moins aidée par le parent parti. C’est tellement courant de nos jours…je m’interroge sur ce qui pousse cette jeune femme à avoir une vision à ce point fantasmée de la cellule familiale. Je ne la dénigre pas, là n’est pas la question. Mais je m’interroge vraiment car il me semble que sa remarque en dit long sur le chemin qu’il reste encore à parcourir pour définitivement intégrer que oui, la famille mono-parentale est une cellule familiale, au même titre que la famille « traditionnelle », et qu’elle n’est pas forcément moins bonne qu’elle. Elle existe, et on ne peut décemment pas l’oublier de la sorte en expliquant, comme une évidence, que le père est forcément là.

Bref, j’ai lu un article sur le maternage.

(Clin d’oeil à la série et à ma keupine La Maman Du P’tit Pois (lamamanduptitpois.wordpress.com/), parce qu’en terme d’article bref, on a carrément vu mieux)

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